Claude, le mari d’Andrée est décédé en 2019. Un cataclysme auquel la doyenne des rédactrices des Curieux Aînés – 86 ans – ne s’était pas préparée. Récit de son parcours dans le veuvage.
Par Andrée Lepetit
2013 : Je passais des jours agréables et paisibles en compagnie de mon mari. Nous nous entendions bien : nous sortions, nous allions dîner chez des amis, nos enfants venaient nous rendre visite, nous partions en vacances… Nous avions nos petits soucis mais rien qui perturbe réellement nos jours tranquilles. Nous savions que l’un de nous deux partirait en premier, mais nous n’en parlions jamais. Nous étions si soudés et heureux ensemble que nous nous sentions presque immortels.
2015 : Mon mari devient anormalement fatigué. Il consulte un cardiologue qui l’informe que son cœur présente un gros problème. Il peut être traité mais pas guéri. Il entame donc un traitement. Il passe de plus en plus de temps assis et bientôt allongé. Je m’occupe de lui. Je deviens son aidante. Nos sorties dansantes et notre engouement pour le « pasodoble » ne sont plus que de lointains souvenirs. Mais on est ensemble. Je ne ressens ni lassitude ni fatigue. J’accepte ce qui arrive car il est là. Claude sent que ses forces diminuent, alors, parfois, il dit qu’il aimerait mettre ses papiers en ordre et évoque le problème de la succession. Il déclare qu’il va bientôt partir. Mais je ne prête pas attention à ses mots.
2019 : Au début de l’année, tout bascule. L’état de mon mari se dégrade brusquement et il faut le transporter en urgence à l’hôpital. J’apprends qu’il n’y a plus rien à faire. Je n’y crois pas. Cela me paraît inimaginable qu’il meure. Il a été mon seul homme : je l’ai connu à 17 ans et demi. Mais il meurt. C’est mon fils qui m’apprend la nouvelle, un matin. Ce que je ressens, c’est un abandon terrible. Impossible de m’imaginer la vie sans Claude. Ce qui suit relève du cauchemar : église, cimetière, des gens qui m’assurent que le chagrin s’estompera avec le temps…Tout me semble irréel. Quand on ne l’a pas vécu soi-même, c’est impossible d’imaginer la douleur de la perte de son conjoint. C’est un arrachement invisible aux yeux des autres. Je sombre dans une dépression.
2020 : Je vais mieux. Mais l’absence de Claude reste difficile à vivre. Le manque de lui est toujours présent. Cela surgit à tout moment dans la journée. J’ai des photos de lui, notamment une qui le représente âgé et déjà malade que j’ai encadrée. Il n’a jamais perdu son expression d’enthousiasme. J’ai donné tous ses habits excepté une veste qu’il mettait tous les jours pour me rappeler sa présence. J’ai un peu réorganisé l’appartement ; j’ai changé de lit, d’armoire. Ces nouvelles choses m’aident à m’inscrire dans le présent. J’aime qu’on me parle de lui, mais par pudeur, de peur de réveiller mes angoisses probablement, les gens n’osent pas aborder le sujet. C’est dommage. Récemment, une voisine, qui a aussi perdu son mari, m’a confié qu’elle se sentait soulagée qu’il ne souffre plus. Moi, non. Je n’aime pas vivre seule. D’autant moins, que je remarque qu’on ne m’invite plus autant à dîner. Je ne sais pas pourquoi. Je joue sur l’ordinateur, aux dominos, à la bataille navale. J’écoute des chansons et des sketches à la radio. Je lis, je tricote, une amie vient de me commander un châle…Je reçois la visite de mes enfants et de mes petits-enfants. Quand les bars sont ouverts, j’aime retrouver une amie sur une terrasse. Une psychologue m’a expliqué récemment que le deuil passait par un processus de cicatrisation. C’est long, mais ça cicatrise. Je l’espère.