Après « Here’s to you » de Joan Baez que nous présentait Martine, nous changeons d’humeur avec la chanson de l’été 48 de Marie : une comptine en état d’ivresse. 

Par Marie H. 

Mon premier souvenir d’une chanson d’été est une performance accomplie en état d’ivresse, lors d’un mariage mondain où je faisais office de demoiselle d’honneur en compagnie d’un garçon de mon âge. C’était au beau milieu d’un été de l’immédiat après-guerre, très chaud, très ensoleillé où chacun reprenait pied. J’étais déguisée en petite fille modèle, robe de mousseline blanche ceinturée de satin rose, une couronne de petites fleurs fixée sur mes nattes, gants blancs et chaussures blanches, la totale. Mon cavalier était habillé en petit page : spencer de velours noir et chemise à jabot. Nous étions tous deux âgés de cinq ans, le bel âge !

Nous avons subi la messe sans broncher, puis, à la sortie de l’église, nous avons posé main dans la main devant les mariés, esquissant le même sourire emprunté. Les familles attendries s’extasiaient : « qu’ils sont adorables ! » 

Nous sommes ensuite passés, sans trembler, sous les sabres de la haie d’honneur et avons écouté, sans impatience, la tonitruante « Saint-Hubert » d’un rassemblement de trompes de chasse.

A midi, nous avons absorbé un léger repas à la cuisine avant une sieste réparatrice en vue des agapes de la soirée, durant laquelle nous avons été exceptionnellement admis à une table d’adultes. Nous nous y sommes copieusement ennuyés, jusqu’à l’arrivée d’une monumentale pièce montée. Il avait été entendu que nous irions nous coucher avant l’ouverture du bal, or, la personne chargée de nous mener au lit s’était éclipsée en galante compagnie.

Nous nous retrouvâmes donc livrés à nous-mêmes et bien décidés à en profiter. Nous avons gagné la cuisine où s’alignaient des flûtes et des coupes contenant un reste de champagne, nous en avons vidé chacun cinq ou six. Cela a suffi à transformer deux enfants sages en diablotins.

La première valse exécutée, l’orchestre était en train de reprendre son souffle, quand nous avons fait une entrée remarquée sur la piste de danse : je hurlais une comptine, transmise par une jeune fille au pair qui faisait fureur cette année-là, dans les nurseries d’outre-Manche. Il y était question de trois gros rats dans trois gros trous. Mon cavalier m’accompagnait en tapant de toutes ses forces sur le fond d’une casserole à l’aide d’une cuillère en bois. Nous étions rouges et décoiffés, tenant à peine debout. Ma couronne avait glissé à l’arrière de mes nattes, façon auréole, ma ceinture pendait lamentablement sur le côté de ma robe froissée. Mon compagnon avait perdu son spencer et sa chemise volantée, sortie de sa culotte, lui battait les mollets. Envolés les enfants modèles, place au désastre du triste spectacle d’une enfance coupable et dévoyée.

La malheureuse qui devait nous coucher arriva, penaude, le rouge de la honte sur les joues, des excuses plein la bouche. L’intervention souriante des mariés en notre faveur fut sans effet sur l’indignation de nos familles. Nous avons été menacés d’une punition exemplaire. Notre état d’ivresse avancée ne nous permettant ni les remords, ni le repentir, nous avons éclaté de rire et sur le chemin de nos chambres, nous avons repris en chœur la désormais célèbre comptine, mon tube de l’été 48, agrémentée de hoquets et de rires stupides :

Trois gros rats dans trois gros trous
Avez-vous vu courir la fermière en colère
Essayant de les faire sortir de leur trou en criant ouh ouh ouh
Les rats s’amusent comme des fous!