Le Havre a été grandement détruit durant la Seconde Guerre mondiale. Pour reloger les familles, des camps provisoires ont été mis en place à différents coins de la ville. Georgette a vécu dans l’un d’eux et elle se souvient.
Par Martine Lelait
Mon amie Georgette vit au Havre depuis 1946. D’origine bretonne par sa mère, vietnamienne par son père, elle y est arrivée, juste après la guerre.
La ville n’était alors qu’un tas de gravats. Des anciens quartiers, du centre-ville, des quartiers autour du port, il ne restait quasiment plus rien, le Havre ayant subi des bombardements des allemands mais aussi des alliés jusqu’en septembre 1944. A ce sujet, le livre de Valérie Tong Cuong, « Par amour », raconte de manière tout à fait passionnante, la dure vie des Havrais sous les bombes, leurs stratégies et exodes quotidiens pour essayer d’échapper au pire.
Georgette a donc vécu pendant quelques années, en deux périodes différentes, 1946-1949 puis 1952-1953, dans l’un des camps havrais, en l’occurrence le camp François 1er, qui avaient été mis en place pour reloger les sinistrés. Dans son ouvrage, « Le Havre ville provisoire, de 1944 aux années 1960, les exilés de l’intérieur », Jean-Charles Langlois décrit ces camps comme « de longs alignements de baraquements préfabriqués sans fenêtres, avec une porte à chaque extrêmité, où de nombreuses familles vivaient entassées sans aucune intimité » .
Paradoxalement Georgette ne garde pas de mauvais souvenirs de ces deux périodes ; c’était même à ses yeux d’enfant plutôt moderne, car il s’y trouvait une cuisine et des toilettes, se rappelle-t-elle. Elle vivait là comme dans un gros village où s’organisait une forme d’entraide, personne n’y étant plus riche que les autres.
Elle se souvient avoir fréquenté l’école maternelle qui se trouvait dans le camp, puis l’école Jean Macé qui se trouvait de l’autre côté du boulevard François 1er. Pour aller à l’école, il fallait traverser des ruines, des chantiers de reconstruction. Elle se souvient de la rue de Paris, qui avait été partiellement reconstruite et dont le pavage était en cours. Elle se souvient aussi avoir fait du vélo dans les trous de bombes ainsi que de l’été très chaud des grèves des chantiers Augustin Normand, où elle allait avec d’autres enfants chercher chez l’épicier des tomates pourries pour les donner aux grévistes qui s’en servaient de projectiles.
Cette période, marquée par le décès de sa mère et l’absence récurrente de son père souvent en mer car cuisinier sur les bateaux, lui revient régulièrement en mémoire. C’est ce qui m’a décidée à creuser le sujet.
En novembre 1953, Georgette quittera le camp pour aller vivre en internat à la campagne mais pour nombre de Havrais le provisoire des baraquements durera plus de 10 ans : la ville a dû faire face à un colossal chantier de reconstruction.