L’artiste Alain Rault est une figure de Rouen. D’ailleurs, le site de Rouen.fr en parle comme tel. Ses calligraphies, gravées à l’aide d’un clou sur les murs, les gouttières, les portes de rue, les plaques métalliques…participent au rayonnement culturel de la ville. Et pourtant, il est désocialisé et SDF.
Par Française Samson.
Quel Rouennais n’a jamais vu cet homme errant, car sans domicile fixe, dans les rues de la ville ? Une chevelure abondante et jamais coiffée, le visage mangé par une barbe hirsute, une corpulence maigre, vêtu toujours du même jeans, les épaules sempiternellement recouvertes d’une vieille couverture à la façon d’un poncho ? Si vous le croisez, ce senior de 71 ans, sale et sentant mauvais, il ne vous réclamera rien. Il soliloque, quelquefois, il crie. On ne peut pas entrer en communication avec lui. Pourtant, c’est un extraordinaire artiste urbain. Avec un clou, sur le bois des portes, la pierre des murs ou sur des cartes métalliques, il grave et superpose des lettres et des mots, tels que « Psy, Bob Dylan, PCF, Guevara, Daniel Cohn-Bendit, Yves Montand ». Ses calligraphies sont de plusieurs dimensions : de quelques dizaines de centimètres jusqu’à 4 mètres. Certaines de ses œuvres sont visibles en centre-ville et rive-droite : rue Étoupée, rue des Bons Enfants, rue de l’Ancienne Prison, rue Deshays, boulevard de la Marne et du côté de la gare rue Verte. Beaucoup ont été détruites ou ont disparu, certaines seraient dans des maisons privées. Celle qui était près de la grande poste a été heureusement préservée et installée au musée Art et Déchirure situé au Centre Hospitalier du Rouvray à Sotteville-lès-Rouen.
Mais qui est cet Alain ? J’en ai appris plus sur lui en découvrant, dans une boîte à livres, l’ouvrage de Georges Lemoine publié en 2006 : « Rouen Ephémère et Permanent ». Quelques pages lui sont consacrée. J’ai découvert qu’il était né en 1952 à Sotteville-les-Rouen. Il aurait été professeur de mathématique à l’Université de Rouen. Il aurait perdu la raison à la suite d’un accident de la route : sa femme et ses deux enfants y auraient perdu la vie et lui serait resté dans un très long coma.
Mais de tout autres explications circulent sur son compte. D’après l’un de ses frères, il est le troisième d’une fratrie de quatre garçons.
Il a été scolarisé à Saint-Etienne du Rouvray, où il a passé son adolescence. Bien qu’intelligent, il aimait trainer dans la rue et se coucher dans les caves.
Il s’est rapproché, un temps, de la Ligue communiste révolutionnaire. Puis a séjourné à Amsterdam où il aurait consommé de la drogue. Il en est revenu crasseux et malade.
A son retour, il a un peu travaillé et a réussi à louer un appartement. Il serait devenu SDF volontairement, chérissant par-dessus tout sa liberté et désirant ne dépendre de rien ni de personne. Il n’a jamais été marié. Il n’aurait d’ailleurs pas connu l’amour.
Son père lui a donné une maison qu’il n’a jamais occupée. Il n’aurait aucun intérêt pour l’argent. Ni pour l’alcool. On dit qu’il aime les enfants et les animaux. Mais se laisse difficilement apprivoiser. Il n’a accepté qu’à grand peine l’aide des bénévoles qui maraudent dans la ville de Rouen. Bref, Alain Rault est un personnage. Il a d’ailleurs inspiré deux réalisateurs qui l’ont filmé durant un an et demi pour leur documentaire « Play Boy communiste ».
Et il apporte la preuve que les SDF réservent bien des surprises.