Notre rapport aux animaux est bourré de contractions. Par exemple, nous sommes capables d’aimer nos chiens et chats autant qu’un membre de la famille, mais dans le même temps, d’ignorer les terribles conditions de vie des vaches, veaux, bœufs et cochons qui finissent dans nos assiettes. Martine a mené l’enquête pour tenter d’y voir plus clair.
Par Martine Lelait.
Si l’on en croit les statistiques, plus d’un foyer sur deux possède au moins un animal domestique. C’est d’ailleurs devenu un marché très juteux pour certaines entreprises, marché qui va de l’alimentation aux soins vétérinaires, en passant par les dog-sitters et les gadgets divers et variés. On a même vu s’ouvrir au printemps 2023 une garderie-hôtel-spa de luxe près du Louvre pour nos amis chiens et chats !
Il n’est plus à démontrer l’importance de ce que ces petits êtres à poils (mais peut-être moins souvent ceux à plumes ?), sont en capacité d’apporter au plan relationnel et émotionnel. Différentes études ont prouvé l’effet anti-stress de leur fréquentation : caresser un animal peut réduire le taux de cortisol, abaisser la tension artérielle et même contribuer à libérer de l’ocytocine, la fameuse hormone dite de l’amour, qui favorise l’attachement. La possession d’un chien encourage aussi à l’exercice physique (il faut aller le promener) et peut également être propice à développer du lien social (il n’est pas rare, en cours de promenade, d’être interpellé par un passant et d’engager la conversation autour du chien). Au-delà, on sait également que la fréquentation d’animaux peut jouer un rôle thérapeutique et apaisant auprès de personnes malades ou en situation de handicap.
Ces animaux domestiques apportent un tel réconfort, un tel soutien, qu’ils deviennent parfois des membres à part entière d’une famille, à tel point que leur perte a pour certains des conséquences semblables au deuil d’un proche.
Premier paradoxe : cet amour des animaux, revendiqué par nombre de personnes, quand bien même elles ne sont pas engagées dans des associations de défense animale, n’empêche pas les refuges de déborder d’animaux abandonnés. Le petit chiot ou le jeune minou sur lequel on a craqué à Noël va parfois se révéler encombrant quand il va grandir, quand il va s’agir de partir en vacances, quand il va falloir engager des frais de vétérinaire, quand, rattrapé par une entrée en EHPAD, on ne pourra plus garder son animal de compagnie… Certes, des tentatives de régulation existent, encadrement légal de la cession gratuite ou onéreuse d’animaux de compagnie, incitation à la stérilisation, campagnes régulières contre l’abandon… Quoiqu’il en soit, il semble que cet amour des animaux ne soit pas nécessairement inconditionnel ni irréversible.
Deuxième paradoxe : lorsque son animal de compagnie arrive en fin de vie, pour lui épargner des souffrances insupportables, on se résout à le faire euthanasier. C’est alors un acte d’amour, même si c’est un pas difficile à franchir, un déchirement, que décider de se séparer de ceux qu’on aime. Pourquoi ce que l’on accorde à nos chers animaux, ne nous l’accorde-t-on pas à nous-mêmes lorsque le très grand âge, la maladie, la souffrance, font que la vie n’est plus la vie ? Est-ce que cette année verra enfin une grande loi donnant aux humains un droit qu’ont déjà les animaux, le droit à l’euthanasie ? J’y ajoute bien sûr celui du suicide assisté pour les humains.
Troisième paradoxe : notre grande empathie avec les animaux n’empêche toujours pas nombre d’entre nous de continuer, sinon à être des viandards, du moins à consommer régulièrement de la viande, alors même que nous connaissons, au travers des reportages de l’association L214, les conditions d’élevage, de transport, d’abattage des animaux dits de boucherie. C’est comme si pour nous, il y avait deux sortes d’animaux : ceux qu’on câline, qu’on a chez soi, qu’on aime plus que tout parfois et ceux qui n’auraient rien à voir avec ces derniers parce que destinés, par nature, à finir dans nos assiettes ! Notre amour des animaux ne devrait-il pas en bonne logique nous conduire à devenir végétariens ? Pour être moi aussi concernée par ce paradoxe, je me demande bien quel mécanisme de défense, quel déni, nous mettons en place pour ne pas voir que la viande dans nos assiettes a été un jour sur pattes et vivante, comment pouvons-nous supporter cela ? Je n’en ai pas la réponse…