Yvonne est nonagénaire. Elle vit son avancée en âge comme une aventure intéressante, enrichissante même. Et si vieillir n’était pas aussi terrible que ce qu’on imagine ?
Par Yvonne Leménager.
La vieillesse est une phase de la vie souvent considérée comme une période de perte et de retrait. Elle nous offre cependant bien des occasions de nous réjouir, si nous ne nous crispons pas sur le passé.
En ce qui me concerne, l’affaiblissement dû à mon âge m’amène à une autre présence au monde : je ne peux plus faire, il me reste à être. Tout se remanie : les rapports au pouvoir, au temps, à l’espace, à autrui. Cependant, ne plus être en première ligne peut être très jouissif. Par exemple cette année, pour le repas de Noël qui avait lieu chez moi comme d’habitude, je n’ai fait qu’éplucher deux échalotes ! Dispensée de toute organisation, courses et autres préparatifs, je n’ai pas vu les fêtes approcher, ce qui m’a évité l’agitation et l’anxiété qu’elles occasionnaient chaque fin d’année. J’ai pu être entièrement disponible à chacun, et tous ont contribué à créer un Noël nouveau.
La fuite du temps qui passe incite à s’ancrer dans le présent en y glanant le moindre bon moment, tandis que notre lenteur invite à la réflexion et à la contemplation. Il n’y a plus d’enjeux, plus de tâches à effectuer en un temps donné. Surtout, comme le souligne l’économiste Esther Duflo, « les leçons de l’expérience produisent des perspectives nouvelles ». En fait, nous bénéficions d’une profondeur de champ exceptionnelle.
La fatigue, la difficulté à se déplacer, voire les douleurs, n’empêchent pas – au contraire – de voyager en esprit. Il est possible virtuellement, gratuitement et hors emprunte carbone, de retourner sur les lieux qui nous ont enchantés, ou de revivre telle ou telle situation à l’aune de perceptions nouvelles. En esprit, toujours, nous pouvons nous rendre auprès de telle ou telle personne. Quand c’est le cas, je leur envoie un papillon en emoji, signifiant « Je pense à toi à cet instant précis ». C’est tout bête, mais ce petit lien contribue à casser la solitude, la mienne et celle de l’autre.
Se mettre en retrait, volontairement ou par nécessité, laisse d’avantage d’espace à ceux qui nous côtoient. Ils peuvent alors se sentir plus libres de nous confier ce qu’ils veulent, or faire preuve d’une écoute inconditionnelle amène à un travail permanent sur soi, pour éviter tout jugement, projection ou influence sur l’autre. C’est un peu se présenter comme un miroir, et le polir sans cesse.
Et puis, j’ai découvert récemment que nous possédions un trésor enfoui, que nous pouvons partager sans limite. À l’époque où l’on se plaint de l’individualisme excessif mais où la recherche de développement personnel fait florès, nous pouvons, en exprimant notre gratitude à ceux qui nous prêtent attention, contribuer à développer leur estime de soi. Et cela, c’est inestimable.
Ainsi, le vieillissement nous amène à des évolutions constantes, quoiqu’invisibles de l’extérieur. Sans que nous en soyons forcément conscients, elles peuvent même nous permettre de contribuer au soutien et à l’épanouissement de la vie qui poursuit son développement.