Faut-il fermer un lieu de mémoire dédié à l’Abbé Pierre à Esteville, hier personnalité préférée des Français pour son rôle en faveur des mal-logés et des laissés pour comptes et aujourd’hui honni pour s’être comporté comme un prédateur sexuel ?  

Par Françoise S.

Comme beaucoup, j’ai été choquée d’apprendre que l’Abbé Pierre était accusé d’agressions sexuelles sur huit femmes. Il aurait eu des gestes inconvenants. Comprenant la souffrance de ces femmes qui le considéraient comme un saint homme, je leur souhaite de se rétablir.
Moi-même, je tenais en haute estime cet humaniste qui a défendu les mal-logés et les sans-abris en France et à l’étranger. Et je reste admirative de ce qu’il a mis en place pour soulager l’injustice sociale. 
L’Abbé Pierre a été pendant des années, la personnalité préférée des Français.
Deux films glorifiant son parcours lui ont d’ailleurs été consacrés ; le dernier, celui de Frédéric Tellier, avec Benjamin Lavergne, daté de 2023. 
Un rapport a été commandé par Emmaüs International, Emmaüs France, et la Fondation Abbé Pierre pour faire toute la lumière sur ce qui lui est reproché. 
Je salue leur courage.

Suite aux accusations contre l’Abbé Pierre portées par les huit femmes, dont l’une était mineure au moment des faits, l’association Mouv’Enfants, qui lutte contre toutes les formes de violences faites aux enfants, a demandé la fermeture définitive du Centre l’Abbé Pierre à Esteville où l’abbé Pierre a vécu et a été inhumé en 2007 avec ses premiers compagnons. 
J’ai plusieurs fois visité ce lieu de mémoire lors d’expositions artistiques. 
On y entre par un joli jardin puis une vaste salle d’accueil. Ensuite, on peut déambuler dans deux salles d’expositions contenant des photos, documents et films ; s’ensuivent une courette puis un bâtiment de briques.
Je me rappelle de cet escalier où l’abbé Pierre nous attendait en photo avec son béret, sa cape et sa canne accueille les visiteurs. 
Au premier étage, on pouvait voir sa modeste chambre.
Dans une autre pièce, il suffisait d’ouvrir les tiroirs d’un bureau et les portes de petits casiers pour découvrir sa vie, ses actions, ses rencontres internationales.
Le directeur prévoit de transformer ce lieu en site d’expositions sur les droits humains, les inégalités, et les injustices en France et dans le monde. 
A mon avis, il sera impossible d’effacer la trace de l’Abbé Pierre, né Henri Groues en 1912. 
Le cas de l’Abbé Pierre remet en cause l’obligation de célibat chez les prêtres catholiques. Interrogé à la sortie de son livre Testament, en 1994 lors d’une émission sur TF1, l’Abbé Pierre avait confessé avoir éprouvé une souffrance constante, quotidienne, durant toute sa vie, de ne jamais avoir connu la tendresse d’une femme. Il avait ajouté qu’il n’y avait aucune obligation évangélique de célibat, que cela dépendait des lois de l’Eglise.

Je me souviens qu’au patronage, lorsque j’étais enfant, une Sœur nous expliquait comment faire le bilan de notre conscience : disposer nos péchés sur l’un des plateaux d’une balance et nos bonnes actions sur l’autre. 
Si nous nous servions de cette balance pour l’Abbé Pierre, de quel côté pencherait-elle ?
Les révélations sur les agissements de ce prédateur sexuel ne cessent de tomber. L’abbé aurait sévi partout où il s’est trouvé : en France, mais aussi au Canada et aux Etats-Unis, des enquêtes sont en cours. L’abbé aurait même menacé ceux qui l’auraient dénoncé. L’association Emmaüs envisage d’indemniser les victimes et la Fondation Abbé Pierre va changer de nom. 
Sur la balance, si le plateau des bonnes actions résiste face au plateau des méfaits, il faut faire attention de ne pas blesser une seconde fois les victimes.