Comment expliquer la colère des agriculteurs, les débordements sur les autoroutes et au Salon de l’agriculture ? C’est en regardant deux émissions à la télévision que Françoise l’a compris. Compte-rendu en toute subjectivité.
Par Françoise Samson.
Vous avez écouté la radio, regardé la télévision, lu les journaux, vous êtes donc au courant de la colère des agriculteurs et des blocages sur les autoroutes. Comme beaucoup d’entre vous, j’imagine, j’ai été choquée par les dépôts sauvages de lisier devant les Préfectures, l’accueil chahuté de notre Président au Salon de l’agriculture et les débordements violents envers les policiers qui y étaient chargés de la sécurité.
J’avoue que j’ai eu honte de ne pas connaître à ce point la détresse des agriculteurs. Honte ? D’une part, j’ai un cousin, certes éloigné, mais qui est agriculteur, élève des vaches et cultive des céréales dans un village de l’Eure. J’aurais pu m’intéresser à sa vie. D’autre part, la Normandie est très agricole et je te suis toujours émerveillée durant mes promenades à pied ou en voiture, par les vastes de champs de céréales, les jolis prés verts où paissent les vaches blanches et brunes. Mais l’actualité vient de nous l’apprendre : le bonheur n’est pas dans le pré.
Piquée par mon ignorance donc, j’ai jeté mon dévolu sur deux émissions pour mieux comprendre.
La première était le nouveau magazine de société animé par Hugo Clément qui s’appelle Nos grandes décisions.
Y étaient présents de nombreux agriculteurs et agricultrices de toute la France, certains syndiqués.
Chacun pouvait participer et faire part de ses expériences et donner des conseils.
Trois personnes étaient interviewées sur le plateau : l’agriculteur Pierre Priolet, l’éleveuse de chèvres, Delphine Serreau et le chef Thierry Marx.
Notable : le grand fauteuil vide : celui de la Ministre de l’Agriculture. Les agriculteurs ont regretté son absence.
Assis sur l’estrade : celui qui devait prendre une grande décision et venait demander conseil. Il s’agissait de Antoine Foulu-Mion, 44 ans, agriculteur par vocation en Isère et père de trois filles. Il est aussi maraicher bio et n’utilise par conséquent aucun produit chimique. Il élève des vaches, des brebis et des poules et pratique la vente directe. Ce modèle économique a bien marché pendant le Covid, mais depuis la fin de la pandémie, beaucoup de clients ont repris leurs habitudes d’achat en grande surface.
Sa grande décision est soit de continuer ou d’arrêter car il est endetté à hauteur de 22 000 €.
Il a raconté qu’au mois de janvier, il avait travaillé 60 heures par semaine pour un salaire mensuel brut de 500 €.
Pour combler ses revenus, il fait l’ambulancier la nuit, deux fois par semaine. Ce qui l’amène à travailler 82 heures par semaine et lui rapporte 1200 €.
Quand dort-il, lui a-t-on demandé ? Il a répondu qu’il faisait des micro-siestes de 10 à 15 minutes comme les marins.
Récemment, il a dû se résoudre à vendre ses 350 poules, résultat de 12 ans de travail, pour la modique somme de 1000 €.
Pour rappel, 6 œufs bio qui lui sont achetés 20 centimes sont revendus 2,60 € en grande surface. De quoi enrager !
Pierre Priolet, producteur de poiriers dans les Bouches du Rhône, a expliqué qu’il vendait ses fruits en-dessous du prix de revient.
Il a décidé de faire abattre ses 13 hectares de poiriers par des bulldozers. Il a perdu 12 000 €. Un film le montre en train de pleurer dans sa voiture pendant l’arrachage.
En 2011, il a publié chez Robert Laffont un livre qui raconte cette décision « les fruits de ma colère ».
L’éleveuse de chèvres dans l’Indre, Delphine Serrreau a, quant à elle, accumulé une dette de 45 000 €. Elle a ouvert une cagnotte qui lui a rapporté des dons, mais il lui manque encore un peu pour retrouver l’équilibre. D’ailleurs, elle conseille à Antoine de lancer une cagnotte.
Elle dit travailler entre 15 et 22 heures par jour et vivre en pilote automatique en faisant, elle aussi, des micro-siestes. Cependant, elle affirme que la fin de sa ferme serait la fin de sa vie.
Le chef étoilé Thierry Marx, qui a évoqué l’importance des bons produits pour sa cuisine gastronomique, a rappelé que « nous devons être mangeurs et non consommateurs ».
C’est une réalité qui fait froid dans le dos : la moitié des agriculteurs qui nous nourrissent meurent de faim. 1 sur 5 gagne moins de 1000 € par mois.
Les agriculteurs sont souvent surendettés. Il leur est difficile d’obtenir de l’aide des banquiers. Beaucoup sont obligés de cumuler un second travail. Deux agriculteurs se suicident par jour. Terrible.
Des aides provenant de la Politique Agricole Commune (Pac) existent mais sont surtout distribuées aux grandes exploitations, particulièrement céréalières.
De fait, ces aides vont d’abord chez le banquier pour les remboursements de prêts.
Les agriculteurs aimeraient vivre de leur travail et ne pas avoir besoin d’aide.
Il suffirait d’acheter les matières premières à leur juste prix.
La question était posée aux téléspectateurs durant toute l’émission :
Êtes-vous prêt à payer plus cher les produits alimentaires pour aider les agriculteurs ? 86% ont répondu oui, 14% non.
Mais qu’a donc décidé Antoine à la fin de l’émission ? Arrêter ou continuer ? Il a choisi de continuer en 2024 tout en continuant à réfléchir pour la suite.
Deuxième émission qui m’a permis de mieux comprendre la détresse des agriculteurs : Envoyé spécialconsacré à la crise agricole et présentée par Élise Lucet.
Parmi les agriculteurs qu’elle a rencontrés, il y avait Jérôme Bayle, 42 ans, éleveur de bovins à Toulouse ; c’est lui qui a appelé les agriculteurs à manifester.
Sa situation est terrible : son père en détresse s’est suicidé il y a 8 ans, il se trouve face à une dette de 40 000 €, malgré le fait qu’il vive simplement et ne prenne jamais de vacances. Les mots qu’il répète en boucle sont colère, fierté et espoir.
Tout au long de l’émission, on réalise à quel point le travail de certains agriculteurs ressemblent à une forme d’esclavage contemporain.
En plus d’effectuer un travail fatigant, qui rapporte peu, ils doivent faire face aux aléas de la météo et à la complexité du travail administratif. Les règles juridiques s’intensifient. Un exemple : le code surtout rural et forestier contient 3000 pages alors qu’il n’en comptait que 750 en 1960.
Dix organismes de contrôles surveillent annuellement leur activité.
Elise Lucet a évoqué avec bienveillance ce sursaut des agriculteurs, passés de l’ombre à la lumière, pour évoquer leur monde abandonné.
Mais les politiques entendront-ils cette détresse ? Ils paraissent tellement déconnectés. Ils n’ont pas les pieds dans les bottes.