Les addictions ne disparaissent avec l’âge. Ni lors d’un déménagement dans une résidence autonomie ou une maison de retraite. Mais comment en parler sans laisser de place au jugement de valeur ? Les résidents de l’Ehpad Saint-Joseph s’y sont essayés avec humilité et sensibilité, en partageant leur parcours de vie. 

Revue de presse à l’EHPAD Saint-Joseph de Sotteville-lès-Rouen.
Étaient présents : Anne-Marie, Claude, Jeannine, Mireille, Pauline, Renée, Rolande, Rosa et Régine, animatrice.

Claude : Il n’est pas évident d’aider une personne qui souffre d’une addiction, quelle qu’elle soit. On peut essayer de lui parler mais le risque existe d’essuyer un refus sans ménagement.

Renée : Ce n’est pas facile de se faire entendre d’une personne qui est accroc à l’alcool. 

Rolande : Personnellement, j’ai l’habitude de dire ce que je pense mais il faut reconnaitre que par moment, ça passe mal. Je crois malgré tout qu’il faut parler aux personnes concernées. 

Claude : Avant de parler à une personne, il est préférable de la connaitre. Il faut prendre le temps de comprendre son fonctionnement pour tenir compte de sa sensibilité et de ses points faibles. Il s’agit surtout d’être patient sinon le lien que l’on essaye de tisser risque de se briser.

Pauline : Il vaut mieux provoquer une discussion en tête à tête pour se faire entendre. Je pense aussi qu’il est plus facile d’aider une personne un peu distante. Les personnes qui nous sont proches ne nous écoutent pas toujours. Mon fils fumait comme un pompier ce qui l’a conduit à avoir des problèmes de santé. Avant cela, j’avais bien essayé de l’inciter à arrêter mais il ne m’a jamais écoutée. Il a arrêté à 50 ans quand le docteur l’a mis devant ses responsabilités. Maintenant il va bien, il vapote.
Mais je comprends la réaction de mon fils, il me ressemble. Moi non plus, je n’acceptais pas certaines réflexions que l’on pouvait me faire sur mon caractère ou mon comportement.

Claude : On ne sait jamais comment réagir face à la critique. Pour ma part, cela dépend assurément de la manière dont le problème m’est présenté.

Rolande : J’ai beau avoir du franc parler, je n’accepte pas qu’on me fasse des remarques. Si quelqu’un s’avisait de le faire, je réagirais de manière assez vive ; ma fille me conseillait la semaine dernière encore d’attendre deux minutes avant de répondre. 

Pauline : Je peux réagir assez brutalement mais si j’estime avoir eu tort, je finis par m’excuser.

Jeannine : J’écoute ce qu’on me dit et je discute. Au sein de ma famille il y a beaucoup de discussions et parfois, on peut me faire des réflexions. Dans ce cas, je laisse chacun libre de me dire qu’il veut mais après je fais comme je l’entends.

Mireille : Moi je n’ai jamais accepté qu’on essaye de me faire changer et aujourd’hui encore, j’avoue que je ne l’accepterais pas. Je ne répondrais pas aux sollicitations de mes proches et je continuerais à faire ce dont j’ai envie. Je ressemble à mon père pour cela.
Quand j’étais enfant, il buvait beaucoup. Il se laissait entrainer au bistrot par les copains à la sortie du foot et il n’arrivait plus à rentrer. A la maison il n’y avait que moi qu’il écoutait parce que j’étais sa fille préférée et que nous nous comprenions facilement. Si je lui disais que j’avais honte, il allait se réfugier dans sa chambre pour se coucher. Ensuite, nous restions trois jours sans nous parler. Ce que lui disait ma mère n’avait aucun effet. Cela dit, je pouvais bien lui faire des réflexions, ses copains de beuverie étant toujours là, il continuait de boire.

Anne-Marie : C’est difficile de refuser une invitation à boire l’apéro. On est vite tenté. Il faut bien choisir ses fréquentations. Moi aussi, j’ai eu des problèmes d’alcoolisme à partir de la quarantaine, je m’en suis sortie toute seule. Je ne sais pas si quelqu’un aurait pu m’aider. J’ai toujours été solitaire et réservée. Mais j’ai eu honte de moi à un moment donné. 

Mireille : La honte est un sentiment dont il est difficile de parler. J’habitais dans un endroit où tout le monde se connaissait et tout le monde était au courant de ce que nous vivions avec mon père mais je n’en parlais à personne et personne ne m’en parlait.

Pauline : Il y a des antécédents qui sont difficiles à assumer. Avoir un parent alcoolique pour un enfant est évidemment un poids qui peut avoir des conséquences dans une vie. Heureusement, aujourd’hui on parle davantage au sein des familles et les enfants peuvent exprimer ce qu’ils ressentent. Cela les aidera certainement plus tard à éviter certains pièges de la vie ; ils auront moins de risque de sombrer dans les addictions.

Renée : Lorsque quelque chose ne va pas chez soi, on a vite l’impression d’être jugé. Quand je dis à mes enfants que j’ai mal au ventre, ils me disent que je me plains toujours alors j’évite le sujet. Pourtant, si je suis venue vivre en EHPAD, c’est que je ne vais pas bien mais je n’en parle pas.

Jeannine : J’ai tendance à choisir des sujets assez neutres quand je parle en famille ; je ne veux choquer personne. Je ne me mêle pas non plus de leurs affaires.

Anne-Marie : C’est vrai que la vérité n’est pas toujours bonne à dire, il faut savoir écouter. J’ai souvent l’impression qu’on ne m’écoute pas, ni dans ma famille ni ailleurs.
Je crois que nous étions moins seuls avec nos problèmes avant ; on prenait une chaise avec les voisins et on parlait dans la rue. On n’abordait peut-être pas tous les sujets mais on parlait.

Jeannine : Mes parents étaient commerçants et c’est ma grand-mère qui m’a élevée. Son mari était alcoolique, il est mort quand elle avait 30 ans. Son exemple m’a beaucoup aidé, elle était bonne, elle s’occupait des autres : des gens dans le village, des clients qu’elle recevait dans son atelier de couture. Elle écoutait beaucoup, c’est important.

Mireille : Si quelqu’un avait proposé à mon père de l’écouter, il n’aurait pas accepté. 

Anne-Marie : Quand on a un problème avec l’alcool, on a l’impression que personne ne nous comprend. Pourtant, parler ça fait du bien.

Pauline : J’ai travaillé jusqu’à 70 ans. J’ai trouvé beaucoup de réponses dans le travail. Cela m’a aidé à structurer ma vie ; je n’aurais jamais pu sombrer dans l’alcoolisme. Le contact c’est important comme la fonction sociale.