Si on ne la pratique pas, on l’entend sans cesse. La langue de bois étant la favorite des puissants et autres décideurs qui s’expriment dans les médias. Martine a participé à un atelier organisé par l’association rouennaise Kissikol pour mieux la comprendre. Et ne plus se laisser enfumer.
Par Martine Lelait
Lorsque la newsletter de février de l’épicerie coopérative rouennaise Kissikol a annoncé un atelier sur la désintoxication à la langue de bois, j’ai sauté sur ma boîte mail pour m’inscrire, la jauge étant limitée.
En fait, je n’ai pas eu à me battre pour une place ; nous n’étions que six participants (cinq femmes et un homme) ; c’était une première pour les deux intervenantes de l’association les Gesticulations Normandes, Amélie Chalmey et Léa Sansonetti, qui testaient ce jour-là leur atelier devant notre petit groupe de cobayes.
Expérience tout à fait intéressante. La journée a alterné les groupes d’interview mutuel (GMI) en sous-groupes de trois et les apports plus théoriques, le tout entrecoupé par un repas partagé en commun pour la pause déjeuner.
L’atelier visait à nous faire prendre conscience que l’on baigne dans un langage fait pour nous embrouiller, nous enfumer ; il s’agissait de nous permettre d’identifier les différentes formes de manipulation et nous exercer à les déconstruire.
Le premier GIM nous invitait par exemple à jeter sur le papier tous les mots « creux » que l’on a l’habitude d’entendre. A partir de ce travail, les deux intervenantes ont décliné différentes les figures de styles qui constituent la « boîte à outils » de la langue de bois ; j’en reprends ici quelques-unes :
– l’oxymore, alliage de deux mots au sens contradictoire, permet de noyer l’un des deux ou de l’affaiblir comme dans « croissance négative », pour ne pas dire décroissance ;
– le pléonasme – qui vise à renforcer une idée quitte à la répéter inutilement – permet d’adoucir le message. Ainsi par exemple, le tri sélectif : trier n’est-ce pas déjà faire une sélection ?
– l’euphémisme permet d’atténuer le message : on ne tue pas, on neutralise ; on ne fait pas un régime mais un rééquilibrage alimentaire ; on ne licencie plus, on fait des plans de sauvegarde de l’emploi…
– l’hyperbole – exagération de l’expression – permet d’amplifier ou de durcir un message : on parlera de prise d’otage (des usagers) pour évoquer une grève des transports en commun, par exemple.
– les anglicismes, qui fleurissent partout pour faire cool, moderne, mais qui sont très élitistes, excluent ceux qui ne parlent pas l’anglais.
– les sigles, utilisés comme des abréviations, marginalisent ceux qui ne sont pas du sérail, du milieu où on les utilise.
Je ne dévoilerai pas davantage le contenu des interventions mais les participants se sont bien éclatés l’après-midi dans d’autres travaux pratiques où ils avaient différents choix :
– réécrire un texte en appelant un chat un chat
– écrire 15 mots relevant de notre jargon professionnel sur des petits papiers, les mélanger et écrire un texte en les employant tous dans l’ordre du tirage aléatoire
– détourner des sigles existants
– on ne dit plus, on dit, on dira
– écrire une non-demande de subvention
– écrire une lettre de non-motivation à un employeur potentiel
– écrire une lettre d’amour ou une lettre de rupture avec uniquement de la langue de bois.
Des exercices drôles mais qui nous obligent à réfléchir sur les mots de la langue de bois que, par imitation, nous finissons par employer nous aussi sans y prendre garde.Ce genre d’atelier étant appelé à se renouveler, je ne peux que vous inviter à y participer