Accueillir les animaux domestiques dans les maisons de retraite avec leurs maîtres ? Thésy Bionnier vient de nous donner son point de vue (https://www.lescurieuxaines.fr/des-animaux-en-ehpad-vraiment)… Marie nous rappelle à présent que chats et chiens étaient ennemis pour la vie, l’avions-nous oublié ? Un regard décalé sur la nouvelle « loi du bien vieillir ».  

Par Marie H. 

Il a fait chaud toute la journée, le soir apporte une fraîcheur bienfaisante. Le ciel est bleu et rose orangé, les oiseaux se taisent, le jardin silencieux et paisible embaume. Une brise légère fait trembler les feuilles des bouleaux. C’est l’heure où rôde Boka, le matou noir de nos lointains voisins. Ce soir le terrible prédateur traverse le jardin les babines sanglantes, une proie serrée dans sa mâchoire aux dents acérées. Il avance, fier et dédaigneux, jusqu’au verger où il va déguster sa victime derrière les poiriers.

Nos deux chiens, Taïg et Toun affalés sur le flanc, étalés sur la pierre chaude de la terrasse, l’ignorent. L’impertinent matou sait qu’il n’a rien à craindre de ces deux molosses endormis qui, la journée sont ses pires ennemis et le chassent à grand renfort d’aboiements féroces et de poursuites endiablées. La nuit arrivée, la trêve se prolongera jusqu’au petit matin, à l’heure où Boka regagne ses pénates et va sommeiller dans son panier, en attendant d’aller s’étirer au soleil.

Les soirs où nous décidons d’arroser les rosiers et les hortensias, nos deux chiens nous escortent humant dans l’air rafraîchi les traces du passage de cet audacieux Boka qui, pour le moment, arpente le chemin du bois à la recherche de son dîner. Malheur à l’oiseau insouciant ou au mulot imprudent, ils seront croqués. Il fait fuir les lapins, seul le renard peut l’obliger à se percher dans un arbre où penaud il attendra le jour.

Surpris par nos chiens, il agit de même. Pour éviter un carnage, j’enferme nos fidèles gardiens afin de lui permettre de descendre de l’arbre-refuge où il s’est perché. Il descend de là avec mille précautions et de multiples arrêts. Une fois à terre, il ne s’attarde pas et file par un trou de la haie.  Une fois libérés, Taïg et Toun foncent à la barrière et se déchaînent, sautant et aboyant jusqu’à ce qu’un ordre bref lancé par leur maître les rappelle à la raison : ce n’est pas encore aujourd’hui qu’ils se partageront la dépouille du Boka abhorré. Le rusé matou a déjà regagné le bois et reprend des forces, tapi au cœur d’un taillis.

Ces intermèdes bruyants et agités donnent à penser sur la proposition faite par un innocent en veine d’empathie, à savoir l’accueil en EHPAD des animaux familiers des pensionnaires. Les ennemis héréditaires que sont la majorité des canins et des félins, ne se réconcilieront pas en faveur de leurs maîtres, l’instinct parlera, le personnel et les pensionnaires seront les témoins impuissants de plus d’un pugilat. Je passe sur l’essentiel : les corvées inhérentes à ce genre de cohabitation utopique et les dégâts collatéraux venant augmenter et surcharger un personnel insuffisant et fatigué. L’enfer est pavé de bonnes intentions.

La vieillesse est une période de renoncements et d’abandons divers et variés, parfois douloureux. Il est nécessaire de s’en prémunir avant le drame d’une séparation non préparée. Courage, vieillir n’est pas un sport pour les mauviettes.