Et si, pour bien commencer l’année, on prenait la résolution de dépasser cette idée reçue, à savoir que Proust serait difficile à lire ? Les arguments de Marie, ni Proustolâtre ni Proustologue, pour se lancer dans les 7 tomes de A la recherche du temps perdu.
Par Marie H.
J’avais dix-sept ans, une longue convalescence me retenait loin des plaisirs de mon âge, lorsqu’un ami érudit m’offrit les nombreux volumes de la A la Recherche du Temps Perdu, généralement désigné sous le titre de la Recherche, de Marcel Proust.
Dès la célèbre première phrase « Longtemps je me suis couché de bonne heure… », je fus conquise par le ton naturel du narrateur.
J’avais abordé la lecture de ce très long roman, réputé difficile, avec une certaine appréhension. Au fil des pages, je découvrais un kaléidoscope d’émotions variées allant du rire aux larmes. Une galerie de personnages, incroyablement incarnés, apparaissait là, sous mes yeux avec leurs qualités et leurs défauts. Dans la Recherche, Proust brosse un tableau de tous les sentiments humains : l’amour, l’amitié, le désir, la jalousie, l’égoïsme, l’orgueil, la vanité, le mensonge, l’oubli.
Du haut de mon ignorance, je considérais le narrateur, ce mystérieux jeune homme, comme un espion infiltré en terre étrangère, un transclasse d’abord ébloui puis de moins en moins dupe des apparences de la comédie sociale à laquelle il participait. Rien ne lui échappait des infinies nuances de la vie mondaine et artistique de son époque. Il assistait aux ultimes raouts d’une aristocratie imbue d’elle-même et à la montée en puissance des bourgeois fanfarons qui prendraient leur place. Les « petites gens » étaient l’objet de la même attention, attention sans concession mais sans mépris.
Le regard de Proust est un regard clinique, médical, plein d’ironie, une ironie teintée d’indulgence habitée par une secrète compassion. La satire sociale, parfois féroce, secrète un humour ravageur et n’empêche pas les éclats de bonté réelle.
En écrivain génial, Proust ne juge pas, il montre. Devenu un grand auteur classique de la littérature, il reste vivant. Son universalité tient peut-être au fait qu’il a préféré à la rationalité pure, l’impression, l’immédiate émotion.
Sa réputation d’auteur difficile et ennuyeux, forgée par des exégètes pointilleux, est fausse : Proust est lisible. Il ne faut pas se laisser intimider et, si possible, le lire en continu. Je précise que je ne suis ni une Proustolâtre, ni encore moins une Proustologue distinguée. Proust lui-même, avertit le lecteur : « Chaque lecteur est, quand il lit, le propre lecteur de soi-même. » Et dans Albertine Disparue cet aveu émouvant : « Nous sommes seuls. L’homme est l’être qui ne peut sortir de soi, qui ne connaît les autres qu’en soi, et, en disant le contraire, ment. »
L’éditeur Bernard de Fallois avait raison lorsqu’il affirmait que Proust était sans doute le dernier de nos grands moralistes.