La mort fait peur. Et plutôt qu’amadouer cette étape inéluctable du parcours d’un être humain, en cherchant à comprendre ce qui se passe au moment de l’agonie, on la hâte. Réflexion sans complaisance d’une octogénaire.

Par Yvonne Leménager.

Gribouille est ce personnage de la comtesse de Ségur qui se jetait à l’eau pour éviter la pluie. La demande d’aide active à mourir me semble relever d’un processus similaire : hâtons la mort pour domestiquer la mort. Prévoyons-la, organisons-la, dominons-la pour éloigner de nous la peur qu’elle engendre. Ou plutôt, qu’engendre la crainte des souffrances qui, bien souvent, la précèdent. Ne pas souffrir, et ne pas voir souffrir. 

Cette attitude rejoint paradoxalement celle de l’acharnement thérapeutique, suscitées toutes deux par la même volonté de puissance, en dépit de leur apparente opposition. D’ailleurs, la demande de l’une n’est-elle pas le produit de la persistance de l’autre ? 

Je comprends très bien que certaines situations extrêmes puissent justifier la demande d’une aide active à mourir, mais ce qui m’inquiète c’est l’adhésion apparemment majoritaire à ces pratiques. N’y aurait-il pas, en sus de la peur, au moins trois facteurs explicatifs à ce consensus ? À savoir l’ignorance, le rapport au temps et l’influence des médias. Oui, l’ignorance parce que la plupart des décès ont lieu en milieu hospitalier, bien loin du temps décrit par Annie Ernaux dans « La place ». La mort du père y étant étroitement imbriquée dans la vie quotidienne où chacun sait quelle conduite tenir.

Un tabou a peu à peu occulté cette phase de la vie. D’un côté nous sommes abreuvés de films policiers ou d’images de guerre, de l’autre nous manquons cruellement d’informations concrètes sur le « Comment cela se passe-t-il ? », ou « Quelles sont les manifestations de l’agonie ? ». Ceci nourrit soit le déni, soit le désarroi le plus profond.

Le rapport au temps joue aussi. Pris par la suractivité et la multiplication des sollicitations de notre époque, nous ne supportons plus la lenteur et l’incertitude qui accompagnent ces instants.

Les médias ont eux-mêmes un rôle important, qui va bien au-delà des représentations virtuelles et convenues de ces moments. Depuis plusieurs années, les reportages sur la Belgique ou la Suisse sont fréquents. L’euthanasie ou le suicide assisté y sont mis en valeur comme des moyens doux, conviviaux et apaisés d’achever notre existence. 

Les soins palliatifs, en services dédiés ou en équipes mobiles, n’ont pas bénéficié de la même publicité sauf depuis très peu de temps, et pourtant c’est de cet accompagnement humain dont nous avons besoin en priorité. Mais il est évident qu’ils ne pourront pas prendre en charge toutes les situations. Au-delà des services dédiés, il serait nécessaire d’introduire dans tout le cursus des études de médecine des modules approfondis portant sur la prise en charge de ces moments. En sus des traitements de la douleur, il faudrait promouvoir un véritable entraînement à l’écoute et à l’empathie. 

En fait, c’est toute une mentalité qu’il faudrait faire évoluer : quitter le culte de la longévité ; travailler sur l’éthique, le discernement et les valeurs humanistes ; ne pas prendre pour un échec thérapeutique l’inéluctabilité de la mort, car tous les êtres vivants sont mortels, ce qui est à la base de leur évolution et de leur renouvellement.