Le 3 juin 2024, La Métropole Rouen Normandie organisait un séminaire sur le thème « Quels regards sur nos territoires en changement ».
Martine y était. 

Par Martine Lelait

Il y avait foule ce lundi-là au Parc des Expositions de Rouen puisque quelque 300 personnes avaient répondu à l’invitation de la Métropole, attirées par le programme concocté pour l’occasion.

Le thème « Quels regards sur nos territoires en changement ? » ne pouvait pas ne pas interpeller les professionnels de tous horizons, prévention spécialisée au premier chef mais aussi travailleurs sociaux du Département, conseillers de la Mission Locale, associations diverses…
Modérée par le docteur en sociologie et en sciences politiques et sociales, Younes Yohan Van Praet, qui connaît bien le territoire pour en être issu et avoir travaillé sur plusieurs communes, cette journée a réuni de nombreuses pointures universitaires. Ce n’était donc pas du bla-bla de bas étage mais du discours construit, d’excellent niveau mais néanmoins rendu accessible aux participants.
Pauline Bruckner, maître de conférences en Sciences politiques à l’Université de Rouen Normandie, est intervenue de prime abord pour clarifier les termes du débat. Elle a par exemple rappelé la définition du mot « migrant » par l’ONU, ce qui a permis d’interroger nos idées reçues et nos interprétations. Un migrant est une personne qui a établi sa résidence dans un pays autre que son pays d’origine. Un Français qui s’expatrie à Dubaï ou qui s’installe dans un autre pays pour échapper à l’impôt est un migrant ; un Britannique qui vient travailler en France est aussi un migrant. Elle a apporté des données chiffrées, partant du niveau mondial (281 millions de migrants dans le monde en 2020) pour décliner jusqu’au territoire de la Seine-Maritime (66’000 personnes immigrées) puis celui de Rouen (environ 12’000). Elle n’a pas manqué de rappeler la diversité des pays d’origine des migrants, dont une grande part est originaire de l’Union Européenne, du Portugal notamment. L’universitaires a rappelé les défis multiples que rencontrent les immigrés pour s’installer et tenter s’intégrer dans leur pays d’accueil : l’accès à la langue, la conversion de leurs compétences, l’éloignement des lieux d’hébergement, l’incompréhension des démarches administratives…tout cela conduisant à un sentiment de relégation sociale et de stigmatisation. Pour s’en protéger, les immigrés ont tendance à se réunir entre eux pour participer à une vie sociale dont ils sont par ailleurs exclus ; cette vision de la communauté comme facteur d’intégration, de cohésion et de mieux-être vient contrebalancer l’idée négative que comporte souvent le mot de communautarisme.
Antoine Querrec, docteur en sociologie, nous a éclairé sur les effets à long terme du décrochage scolaire dans l’insertion professionnelle. Une intervention là aussi passionnante puisque nourrie par la thèse que le sociologue a réalisée sur le vécu de décrocheurs scolaires de jeunes adultes habitant le quartier du Val Fourré. Il a mis en évidence que le « temps du rien », ce temps de latence, de flottement entre le statut d’élève et l’acquisition d’un autre statut, n’était pas un temps mort mais un temps d’expérimentation d’autres choses, de conflit avec les parents souvent, de modification de la place à la maison, d’emplois précaires, parfois au black, d’activités parfois illicites aussi, mais un chemin nécessaire pour faire le deuil du décrochage et passer à une autre étape, comme celle de la formation professionnelle.

L’après-midi a été consacré à deux autres interventions tout aussi pointues, l’une sur « le religieux, entre ressource morale et repli sur soi », l’autre sur le geste mémoriel et notamment l’exposition itinérante « les musulmans dans l’histoire de France, une place singulière ».

Une journée dense mais riche de développements, de discussions, d’apports de connaissances qui ont contribué à nous interroger et, je l’espère, à revisiter certaines idées reçues et préjugés.