Un sale coup du sort oblige Martine à déménager et à changer de voisinage. Comme elle est curieuse des autres, elle ne tarde pas à découvrir que son propriétaire est le fils du créateur d’un personnage de BD qu’elle adorait enfant.
Par Martine Lelait
A quelque chose malheur est bon
Un incendie m’a chassée de chez moi pendant une année entière. Aussi ai-je dû louer une petite maison meublée le temps, Covid n’aidant pas, que les expertises et travaux parviennent à être réalisés. Durant ces quatre saisons dans ma maison de location, j’ai eu tout loisir d’approcher puis de mieux connaître, puis de bien sympathiser avec mes propriétaires occasionnels, des gens absolument charmants. Ce hasard de la vie et nos discussions au fil des mois m’ont fait découvrir, finalement assez récemment, que mon propriétaire était en fait le fils du père de Poustiquet !
De quoi que c’est-y qu’elle nous cause celle-ci ? Le fils du père de… ?? Le frère donc ?? Mais d’abord c’est qui donc ce Poustiquet ?
« Il a une drôle de tête ce gars là … Qui c’est celui-là ? »*
Poustiquet… ce nom ne dira rien à de nombreux lecteurs, il parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, vingt ans que dis-je, en l’occurrence, il s’agit davantage des moins de 50 ans ! En revanche, il résonnera dans la tête de ceux qui comme moi, enfants, ne s’intéressaient pas aux nouvelles, ne lisaient pas les journaux, mais qui recherchaient fébrilement et parfois découpaient dans les pages pleines d’encre du Paris-Normandie, la petite bande dessinée qui quotidiennement relatait les aventures d’un petit personnage jovial, rondouillard, moustachu qui acquerra une telle notoriété qu’il deviendra en quelque sorte la mascotte du journal.
Une double naissance
Aiguillonnée par cette retrouvaille de mon enfance, j’ai voulu en savoir davantage sur la genèse de ce petit bonhomme et mon propriétaire a été très disert pour me conter cette aventure familiale. C’est en 1947 que son père, Roland Vagnier, à peine âgé de 30 ans, entre à Paris Normandie. Après des études d’architecture, la guerre, l’hôpital et l’exercice un temps du métier de charbonnier, il a l’opportunité d’entrer comme journaliste à Paris Normandie pour croquer les audiences au Palais de Justice. Il est alors sollicité par le journal pour créer un personnage de paysan normand qui aurait dû s’appeler Pamphile. De son propre aveu, la commande ne l’inspirait pas trop au départ mais il a fini par créer un autre bonhomme, le fameux Poustiquet qui naîtra le 14 octobre 1949. L’heureux dessinateur d’ailleurs sera père deux fois à quelques jours d’écart puisque Jean-Louis mon propriétaire naîtra dans la foulée… mais seul Poustiquet occupera les pages du journal sans discontinuer jusqu’en 1972.
Quelle histoire
Heureux d’être relancé dans cette saga familiale, Jean-Louis m’a confié l’origine du nom de Poustiquet. Cela vient en fait de son frère aîné qui avait alors 5 ans et qui appelait ainsi l’eau gazeuse lithinée, boisson rendue pétillante par l’ajout dans l’eau d’un petit sachet acheté en pharmacie. Poustiquet et sa femme Hortense seront alors connus de tous les lecteurs du journal, Roland Vagnier et son épouse deviendront pour leurs voisins sottevillais Monsieur Poustiquet et Madame Hortense ! Un travail de tous les jours où il fallait quotidiennement trouver l’inspiration, et même redoubler d’inspiration le vendredi puisqu’il fallait aussi nourrir le journal du week-end. Jean-Louis raconte que tant que la production du jour n’était pas assurée, il convenait pour lui et son frère de filer droit et surtout de ne pas faire de bruit dans la maison pendant que Papa travaillait !
Toute une époque
Si les dessins collaient à l’époque, aux saisons, l’hiver, la neige, Noël, les vacances, la galette des rois, la chandeleur… ils ne suivaient pas l’actualité, ni de la Normandie, ni du monde, exception faite du sport et tout particulièrement du Tour de France car Roland était aussi mordu de vélo ; il était fier d’avoir rencontré Jacques Anquetil comme il a eu également l’occasion de rencontrer les dessinateurs de son époque, Jacques Faizant, Gus, Goscinny et Uderzo.
L’aventure s’est terminée en 1972 et peu après Roland Vagnier partait à la retraite partageant sa vie entre Sotteville lès Rouen où la famille habitait depuis plus 50 ans et leur maison dans le Lot.
Causez, causez, il en restera toujours quelque chose
Roland Vagnier est décédé en 2014 mais son fils conserve précieusement les quelque 6000 dessins originaux que j’ai eu le rare privilège de voir. Cette belle rencontre a fait naître en moi l’idée de suggérer, qui sait, à la Ville de Rouen une exposition. Que ce projet advienne ou pas, cela m’a confortée dans l’idée qu’il est toujours intéressant, voire passionnant, de discuter avec ses proches, ses voisins, chacun étant riche de son histoire.