Les habitants de la résidence Jeanine Bonvoisin à Rouen avaient pour la plupart 5 ans en 1944, au moment du débarquement des alliés et de la libération qui a suivie. Quels souvenirs gardent-ils de cette période ? 

Revue de presse de la Résidence Jeanine Bonvoisin
Étaient présents : André, Alain, Arlette, Christiane, Evelyne, Jacqueline, Jean-Noël, Michèle, Monique, Stéphane ainsi que Constance et Françoise (Animatrices).

Jean-Noël : Le débarquement a été un événement exceptionnel. Quand on recense le nombre de soldats qui ont participé, ceux qui ont survécu, ceux qui sont restés sur la plage, on se rend compte du gigantisme de la bataille. Il ne reste plus de témoins directs. Mais le film de Spielberg « Il faut sauver le soldat Ryan » propose une description assez fidèle, je crois, de la violence des combats. 

Evelyne : Ce que nous avons vécu directement, c’est la libération et les bombardements. On parle beaucoup de ceux provoqués par les alliés mais, au Havre, nous en avons aussi subi en 1940 par les Allemands. J’habitais au Havre près du port et les Allemands lançaient des bombes incendiaires pour mettre le feu aux réserves de pétrole. 
Pour échapper à l’invasion, nous avons été évacués sur un bateau en direction de la Bretagne mais les Allemands sont arrivés deux jours après.
D’autres familles sont allées jusqu’à Bordeaux et d’autres encore au Maroc. Les Havrais se sont disséminés un peu partout. 

Christiane : Avec ma famille, nous devions prendre un bateau pour aller en Angleterre mais au dernier moment ma mère a changé d’avis. Heureusement car ce bateau a été coulé. Nous avons quand même quitté la ville, à pieds ; nous dormions dans des granges sur la route, un peu n’importe où. 

Monique : Ma mère m’a raconté que, nous aussi, sommes partis pendant l’exode. J’avais 6 mois et j’étais en poussette. Les soldats allemands que nous croisions avaient du lait tandis que nous devions nous contenter d’eau et de fraises des bois. Nous dormions sur la paille parmi les rats.

Evelyne : Et puis en 1944, ce sont les alliés qui ont bombardé la ville du Havre toute entière. Mais nous avons éprouvé de la peur durant cinq ans. 

Christiane : En 1944, tout a flambé ! 

Evelyne : Nous étions complètement sinistrés ! Un dimanche de juin, j’avais 4 ans mais je m’en souviens très bien, il y avait tellement de fumée que personne n’y voyait plus rien ! À midi, il faisait nuit. C’était impressionnant pour les civils qui se demandaient ce qui les attendait.

Christiane : Les alliés pensaient qu’il y avait une poche de résistance allemande, alors ils bombardaient toute la ville pour détruire les postes ennemis. C’était un enjeu stratégique.

Evelyne : La nuit quand y avait des alertes à la bombe, nous nous levions pour aller aux abris en emportant de petits pliants que nous avions préparés afin de pouvoir nous assoir. J’avais 4 ans et j’adorais ça, comme tous les enfants ! C’était un jeu pour nous !

Christiane : Oui, c’était un peu la fête, on prenait une petite valise dans laquelle il n’y avait presque rien. C’était l’aventure. Ça peut paraitre bizarre aujourd’hui mais c’était comme cela.

Monique : Mon mari était du Havre mais moi j’étais une enfant de Rouen. J’ai encore dans la tête les voix des gens qui criaient pendant les bombardements de la nuit du 19 avril. J’ai entendu des cris, un grand « boum » et puis plus rien… Ce sont de sacrés souvenirs.
Mon père faisait partie de la défense passive, les Allemands étaient encore là et pour avoir des informations, il devait écouter celles que fournissait la radio.
Avec l’aide du curé et d’ambulanciers, il cachait les postes de radio dans les ambulances ou dans des sacs de purin. 
Moi, j’étais toute petite et on m’avait envoyé me réfugier à Saint-Jacques-sur-Darnétal. C’était la campagne à l’époque.

Jean-Noël : On parle de la « Semaine Rouge » à Rouen mais cette semaine a été précédée d’une vague de bombardements à partir du printemps ! Le but, c’était notamment de détruire tous les ponts, et comme ils bombardaient de très haut, les bombes tombaient partout.

Christiane : Les sentiments des habitants étaient très mélangés. Les alliés nous bombardaient mais nous étions tellement heureux d’être libérés. Pour nous, les enfants, c’était le bonheur de ne plus voir les Allemands et quand arrivaient les soldats américains, ils nous distribuaient des bonbons, du chocolat… Pour nous c’était incroyable, et on ne faisait pas le rapport entre les souffrances des bombardements et la joie de la libération. Pour nous, les Américains étaient avant tout les libérateurs.

Monique : Quand les Américains sont arrivés, que les bombardements ont été terminés, nous avons ressenti un immense soulagement à l’idée que nous n’aurions plus besoin de nous mettre sous la table au passage d’un avion.

Christiane : Ah oui, c’était important d’en finir avec cette crainte constante ! Nous allions dans l’escalier pour nous protéger, je n’ai jamais vraiment compris en quoi nous y étions plus à l’abri. Ma mère me mettait les mains sur les oreilles pour que je n’entende pas les bombes. Pendant longtemps, j’ai gardé de cette période une peur vivace des Allemands.

Jean-Noël : Mais la libération n’a pas toujours été simple à vivre. On sait que des viols ont été commis par des soldats américains. On en a parlé de manière plus précise cette année.

Evelyne : Au Havre, il y en a eu beaucoup.

Jean-Noël : Et puis, il y a eu les femmes tondues à la libération, accusées d’avoir collaboré avec les allemands, on leur dessinait une croix gammée sur le front. C’était violent !

Christiane : Oh oui ! Je m’en souviens ! C’était terrible ! Voir ces femmes tondues que l’on obligeait à défiler dans la rue pour que les gens leur crachent dessus. Les personnes qui s’en prenaient à elles n’avaient souvent fait preuve d’aucun courage pendant la guerre mais, le danger étant passé, elles sortaient comme si elles avaient pris part aux combats.

Jean-Noël : Il était plus facile de s’en prendre à ces femmes qui n’avaient pas fait grand-chose plutôt que de débusquer les collaborateurs ! A l’époque, nous voulions nous donner le beau rôle et tous les Français se disaient « résistants », en oubliant qu’au sein des forces de l’ordre et de la gendarmerie, des Français avaient participé à beaucoup d’arrestations de juifs, de communistes et de tant d’autres.