Chaque année, l’ADMD, Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité, tient son assemblée générale à l’automne, dans une grande ville de France. L’an dernier, c’était à Nantes, en 2023 ce sera à Valence mais cette année, c’était à Rouen, au Kindarena le 24 septembre dernier. Martine, adhérente de l’association depuis plus de 13 ans, était présente.
Par Martine Lelait
C’était une 42ème assemblée générale. C’est dire si le sujet n’avance pas vite ! 42 ans que l’association, forte aujourd’hui de près de 76’000 adhérents, milite pour le droit de mourir dans la dignité, pour que chacun puisse choisir les conditions de sa propre fin de vie. (Il y a là un point essentiel, il ne s’agit pas de décider de la fin de vie en général, surtout pas de la fin de vie des autres, mais de la sienne propre, dans le respect des libertés individuelles).
Si la matinée du 24 septembre a été consacrée à l’assemblée générale, et aux rapports statutaires, l’après-midi était ouvert au grand public avec des discours forts notamment de Jonathan Denis, nouveau président de l’ADMD et d’Hadrien Clouet, député de Haute Garonne et le témoignage percutant d’une adhérente en fin de vie. Une table ronde, animée par une journaliste de France Bleu Normandie, et réunissant des intervenantes belge, suisse, espagnole, a permis d’éclairer le débat, d’apporter des arguments aux détracteurs et de revenir sur pas mal d’idées reçues.
Tout d’abord, nous avons été invités à cesser d’opposer soins palliatifs et aide active à mourir, les deux devant être complémentaires, (pour autant qu’il y ait des unités de soins palliatifs partout, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui !)
Jacqueline Herremans, présidente de l’ADMD-Belgique et membre de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie, a expliqué que la Belgique, riche d’une expérience de 20 ans dans ce domaine, n’euthanasiait pas à tour de bras. La loi belge encadre strictement la pratique. Examens médicaux et différents entretiens accompagnent chaque demande. Demande qui doit provenir du patient lui-même et être argumentée, réitérée et ne faire l’objet d’aucune pression extérieure. Le patient demande, le médecin consent à mettre un terme à des souffrances, psychiques ou physiologiques inapaisables.
Erika Preisig, médecin généraliste et présidente de Life Circle a précisé qu’en Suisse, la mort assistée existait depuis 40 ans et que le droit de choisir sa mort était reconnu comme un droit humain indépendant même d’une maladie. Des régressions sont cependant à l’œuvre dans le pays, par des pressions religieuses, par l’ordre des médecins qui tend à réserver l’euthanasie aux seules personnes en situation terminale d’une maladie incurable dont les souffrances sont estimées insupportables. Le médecin est-il plus apte que le malade pour dire que la souffrance est intolérable ? Il est par ailleurs rassurant d’entendre que 2/3 des personnes qui ont eu le « feu vert » pour l’euthanasie n’y recourent pas, cet accord les aidant à mieux vivre, à mieux supporter leur souffrance, puisqu’ils savent qu’une solution existe lorsqu’ils ne la supporteront plus.
Lorens Arseguet, secrétaire générale de Derecho a Morir Dignamente, a exposé quant à elle que la loi espagnole était beaucoup plus récente, puisqu’entrée en vigueur en juin 2021. Sa mise en application varie selon les régions. Pour l’heure, seule la Catalogne a pu produire un premier bilan. Les conditions sont encadrées : il faut une situation de maladie grave et incurable (mais pas de liste exhaustive de maladies) et résider depuis au moins un an en Espagne pour accéder à ce service public.
Au terme de cette table ronde, les différents intervenants sont tombés d’accord pour reconnaitre que, comme dans d’autres domaines, les pressions sur le droit à mourir dans la dignité existent toujours, que les retours en arrière ne sont pas exclus, et que comme dit Aragon « rien n’est jamais acquis »…
De fait, après 42 ans de militantisme de l’ADMD, on ne peut que constater que le combat est long et semé d’embûches, il est similaire par bien des aspects à celui que fut la lutte pour l’IVG.
Au printemps 2021 une proposition de loi portée par Olivier Falorni député n’avait abouti qu’à l’adoption du seul premier article, les opposants ayant, par un mécanisme d’obstruction bien connu, déposé des centaines et des centaines d’amendements pour en bloquer l’adoption.
Les choses avancent néanmoins mais … à petits pas de souris. Récemment, le Président de la République s’est engagé auprès de Line Renaud, grande défenseuse de la cause, à l’occasion d’une remise de médaille, à engager une réflexion sur le sujet. Suite à l’avis rendu par le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE), il a finalement décidé de lancer une convention citoyenne chargée de rendre ses conclusions en mars 2023, en vue d‘envisager, le cas échéant, une évolution du cadre légal actuel d’ici à la fin de l’année prochaine. Encore un an à attendre alors que les sondages indiquent que plus de 90 % des français sont favorables …
Cette nouvelle consultation citoyenne n’est-elle pas une manœuvre dilatoire ? Ne va-t-elle pas finir archivée dans un placard ? Ne serait-il pas temps que la loi française accorde aux citoyens le droit d’éteindre la lumière quand ils le souhaitent ?