Les marchés sont des lieux authentiques et foisonnants. Ils restent des lieux de vie dans nos villages et nos villes. Contacts, rencontres et papotages. On y tisse des liens. Plaisir des yeux et de l’odorat. Françoise nous raconte ce qui l’attache au marché Saint-Marc à Rouen.

Par Françoise S.

Je connais ce marché depuis mon enfance. Mon père le fréquentait le dimanche à la recherche de quelque brocante.
J’ai moi-même habité à proximité et je me souviens avoir été réveillée agréablement de ma nuit dansante (vers 11 heures !) par les bruits du marché.
Mon marché est l’un des plus beaux de France. Entre 100 exposants le samedi et 200 le dimanche le fréquentent, sans oublier quelques marchands qui déballent en semaine. Certains producteurs et marchands viennent plusieurs fois par semaine.
Beaucoup achètent leurs produits au MIN (marché d’intérêt national) en bas de la côte de Canteleu (Chante loup). Quelques-uns vont même à Rungis.
Ils travaillent par tous les temps depuis de nombreuses années.

Sur la partie Nord règne une ambiance de bistrots, fanfares et propagande politique (tracts, journaux).
C’est le royaume de quelques entreprises souvent familiales qui proposent fruits et légumes, alimentation diverse, brocante, vêtements, friperies, fleurs, livres anciens, etc. On y trouve de plus en plus de bio, d’artisanat et de nourritures exotiques. Vous pouvez voyager sans quitter la place.
Sur le marché, le placier est incontournable. Il assure les emplacements des marchands. Il reçoit les redevances.

Un peu d’histoire du Clos Saint-Marc.

Il y a 600 ans il existait déjà un marché de fripes, brocante et maraîchage. On peut imaginer qu’il s’agissait d’un cloaque. La misère régnait dans ce quartier.
Il y avait aussi une chapelle au 10ème siècle dédiée au saint apôtre. Incendiée en 1342 et reconstruite au 15ème siècle, elle a été vouée au culte jusqu’à la Révolution.
Elle a finalement disparu en 1855 lors de la création de la place actuelle bordée de beaux immeubles de briques. Dès 1837 quelques arbres étaient sortis de terre.
Deux hallettes édifiées en 1895 ont été détruites et remplacées en 1990.
Je me souviens de ces hallettes autour desquelles trainaient quelques « clochards ».
Jeune, j’aimais roder dans le coin et j’écoutais ces « philosophes » à la manière de Diogène.
Cela inquiétait ma mère. L’un d’eux était riche mais n’avait aucun intérêt pour l’argent.

PORTRAIT DE VINCENT

J’ai connu Monique, fruitière (je me souviens de ses délicieuses fraises).
Au même emplacement, son fils Vincent continue l’entreprise familiale. Il a été formé par sa maman. Son stand a les couleurs de ses agrumes. Environ 5 sortes de fruits pas plus. Il fait des marchés tous les jours sur Rouen et la région.

C’est une figure parmi tant d’autres du Clos Saint-Marc. Il pourrait être mon fils. Je ne lui donne pas d’âge. Il se lève chaque jour à 4 heures 30 du matin et s’installe dès 6 heures. Il travaille seul, aidé seulement pour l’installation et le remballage l’après-midi.
Visage fin et cheveux longs. Il est solaire comme son stand. Toujours souriant, aimable.
Reconnait chacun de ses clients. Quelques mots pour tous.
Je lui ai demandé s’il prenait du repos. « Oui le lundi après-midi ». Il ne doit pas faire ses 35 heures plutôt 50 ou 60. Quand on aime on ne compte pas…

Une file de clients toujours nombreuse attend devant son stand le samedi comme le dimanche.
Quelquefois je n’ai pas la patience d’attendre et j’achète chez le voisin. Je me contente alors de lui faire un petit coucou. Pas facile dans ces conditions de « l’interviewer ».
Après la commande et la pesée, il fait ses comptes à l’ancienne sur des petits feuillets, d’une belle écriture avec une rapidité surprenante ; il n’utilise pas de calculette.

Je me suis demandé pourquoi il attire autant le chaland et pourquoi la file devant son étal empiétait sur celui du voisin jusqu’à l’envahir sur toute la longueur, ce qui me paraît gênant pour eux.

C’est un commerçant qui me fournit un début de réponse : « Il est tellement gentil » !

PORTRAIT DE LOIC SERON

Si vous voulez en savoir plus, je vous recommande le livre documenté de Loïc SERON de 2014 illustré de magnifiques photos : « Le Clos Saint-Marc vie publique et faces cachées ».
Jeune musicien, documentariste, photographe, pendant plus de deux ans, je l’ai rencontré. L’appareil photo en bandoulière il a arpenté le Marché Saint-Marc par toutes les saisons et à toute heure. Il est allé à la rencontre des producteurs : agriculteurs, éleveurs, arboriculteurs, horticulteurs, apiculteurs, brocanteurs, créateurs et les a photographiés en plein travail.
Un véritable humaniste qui nous permet par son œuvre de mieux connaitre ce marché si singulier !

(Certains prénoms ont été changés)