L’équivalent du tour de France à la Martinique ? Une compétition de voile traditionnelle qui se décline en 7 étapes. Andrée Médec nous dit tout sur cette course qui attire des milliers de spectateurs amoureux de la navigation.
Par Andrée Médec
Si l’on me demandait de choisir un événement marquant des vacances à la Martinique, sans hésiter je répondrais le Tour de Martinique des yoles rondes, compétition de voile traditionnelle qui rassemble, durant une semaine, des milliers de spectateurs sur chacune des 7 étapes. L’équivalent du Tour de France à vélo.
Cette manifestation existe depuis plus de 30 ans et se déroule généralement fin juillet/début août, pendant « l’hivernage » (saison humide). Si parfois, à cause de la météo certaines étapes particulièrement houleuses ont dû être supprimées, seul le Covid a réussi à l’annuler 2 années de suite. Elle a repris en 2022.
La yole ronde fut créée dans les années 40 par un charpentier qui s’inspira à la fois de la yole européenne et du gommier, embarcation traditionnelle des pêcheurs de l’époque. Le nombre de gommiers diminuant, car l’arbre éponyme s’épuisait dans les forêts, il proposa ce nouveau bateau.
Pourquoi yole ronde ? Car il n’a ni quille, ni bancs de nage mais 8 à 9 « bwa dresé » – bois dressé – (longs bouts de bois) sur les côtés et une godille à l’arrière. A l’image de la manifestation, la yole de compétition dernière génération a bien évolué : elle mesure environ 9 mètres de long (contre 6 à l’origine) et ses voiles, non plus en coton mais en nylon très léger, atteignent une envergure de 50 m2 voire plus. L’équipage composé d’hommes et depuis quelques années de femmes, varie entre 15 et 18 personnes. Le vainqueur sera la yole qui sera arrivée la première : sa bonne anticipation des éléments (force du vent, houle), ses prises de décision adéquates (changement de voiles ou non), son habileté, lui auront permis d’être la plus rapide.
Pour moi, le plus impressionnant demeure le travail des dresseurs qui, sur leur bois, doivent maintenir l’équilibre du bateau en faisant contrepoids. Comme un seul homme, ils y montent et en descendent durant toute la course, et lorsque -pour mieux peser sur le bois- leurs pieds laissent la yole et se retrouvent dans le vide, c’est spectaculaire ! C’est à un véritable ballet que ces équilibristes se livrent en pleine mer, ballet qui nécessite force dans les bras et abdominaux d’acier, car la course peut durer jusqu’à 4h et plus. Au besoin, lorsque le vent tombe et qu’il faut alléger le bateau, certains dresseurs se laisser glisser dans la mer où ils sont récupérés par des jet-skis.
Si les dresseurs sont les plus spectaculaires, chaque membre de l’équipage a un rôle important nécessitant promptitude et force physique et contribue à la victoire : le premier corde, le deuxième corde, l’écopeur, les manœuvriers d’écoute lors des manœuvres pour le réglage de la voile en fonction du vent. Tous travaillent en bonne coordination et cohésion.
Le Patron, souvent à l’origine de la construction de la yole, règne en maître à bord. Il sait tout faire et supervise le travail et l’engagement de chacun. Par exemple, c’est lui qui décide en cours de course, qu’un dresseur ne fait pas l’affaire. Celui-ci doit alors sortir du bateau qui accueille immédiatement son remplaçant. Pour ces changements sur l’eau, chaque yole a ses jets-skis et bateaux suiveurs.
Faire la course nécessitant un budget important, chaque équipage est donc sponsorisé.
Outre la compétition sportive, le tour des yoles a un impact économique certain, même si l’accès aux plages d’arrivées est gratuit, ce qui contribue à sa popularité : location de bus et de camions pour le transport des yoles et de leurs équipages, hébergement des yoleurs, location de hors-bords et autres bateaux… Depuis quelques années, il est possible de vivre la course en direct, sur la mer, au plus près de l’action. Ceux qui n’ont pas la chance d’avoir un bateau (ou de profiter de celui d’un ami), peuvent acheter des places pour la journée en mer ! Nombreux sont ceux qui choisissent cette option, très agréable du reste. Il faut donc réserver sa place très tôt à l’avance. Certaines entreprises vont jusqu’à louer un catamaran pour renforcer la culture d’entreprise, souder les liens entre collègues et récompenser les collaborateurs. Les clubs de sports profitent eux aussi de cette manne, puisque les « abdos d’acier » et autres muscles se préparent en amont, chez eux. Enfin, sur les plages d’arrivées, la foule a le choix de se restaurer dans les nombreux estaminets et autres marchands ambulants de boissons et de glaces et de faire des emplettes (vente de maillots de bain et autres fanfreluches).
C’est donc tout un réseau économique qui gravite autour de cet événement, sans oublier l’argent de supporters qui change de main par le biais de nombreux paris sur tel ou tel « mapipi » (favori).
La pratique de la yole ronde s’exporte en métropole. Cette année, dans le cadre de la Semaine du Nautisme de la Rochelle, un équipage de yoleurs d’un lycée du Lamentin a été invité par le lycée maritime de la Rochelle afin d’initier ses élèves à la pratique de l’embarcation traditionnelle martiniquaise, avant de se lancer à l’assaut du Fort Boyard. Après 6h de navigation, la yole a terminé son tour réalisant un défi jusque-là inédit. Cet échange s’est révélé positif puisque les coursiers du Legta sont à nouveau invités l’année prochaine.
D’autres yoleurs étaient aussi en déplacement à Monaco du 15 au 19 juin dans le cadre de la Fête de la Mer. La yole ronde, qui fait partie du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco depuis 2020, offre une belle visibilité à la Martinique.