Au-delà d’être des lieux de recueillement, les cimetières sont propices à la balade et à la méditation. A l’occasion d’une lecture théâtrale organisée au Cimetière Monumental de Rouen dans le cadre des Journées du patrimoine, Martine a retrouvé ce goût qu’elle partage avec nous.
Par Martine Lelait
J’ai beau habiter à Rouen depuis près de 60 ans et avoir été au lycée à deux pas de là – mais quand on est jeune, on a d’autres choses en tête que visiter les cimetières -, je n’avais mis les pieds que trois petites fois dans ma vie au Cimetière Monumental : deux fois pour des enterrements et on ne s’y attarde pas plus que de besoin et une fois, il y a fort longtemps, dans le cadre d’une visite contée des Journées du Patrimoine. C’était pour la lecture théâtralisée de la narration par Emile Zola de l’enterrement de Gustave Flaubert : le cortège parti de Croisset par un beau jour ensoleillé de mai 1880 pour grimper en soufflant la côte de Canteleu jusqu’à l’église, puis après l’office redescendant cette même côte, traversant les rues de la ville où Zola déplorait qu’aussi peu de rouennais aient daigné accompagner le grand homme, puis ce cortège de plus en plus débandé remontant, suant de fatigue et couvert de poussière, la côte opposée jusqu’au cimetière.
Bref, ce dimanche printanier m’a conduite moi aussi, mais pas à pied et sans suivre aucun corbillard, à aller redécouvrir ce cimetière perché sur les hauteurs de Rouen. Eh bien, je vous assure, il vaut le détour.
On ne dira jamais assez que les cimetières ce n’est pas du tout lugubre ; c’est passionnant, c’est reposant, c’est propice à la méditation. Vous l’aurez compris, j’adore les cimetières et pas que les cimetières parisiens qui ont une grande cote et drainent un flux important de touristes et de curieux. J’ai bien sûr visité Montparnasse (curieux hasard, le lendemain du décès d’Agnès Varda qui habitait tout à côté), le Père Lachaise, visité avec sans doute un des plus grands amoureux des cimetières, qui soient au monde, Bertrand Beyern, qui s’en est fait une spécialité d’en faire des visites guidées ; infatigable, il peut en arpenter les allées pendant 3 ou 4 heures en racontant à jet continu la vie de ses occupants plus ou moins célèbres, le tout nourri d’histoire avec un grand H mais aussi d’anecdotes parfois croustillantes et étonnantes dans un tel lieu !
Parmi mes jolis souvenirs de cimetières, je pense à celui d’Amiens qui ressemble plus à un immense parc arboré, presque une forêt, avec Jules Verne soulevant le couvercle de sa sépulture ! Je me souviens aussi de celui, lumineux, de St Tropez au pied de la Citadelle et surplombant la Méditerranée, cimetière de célébrités du cinéma et du show-biz (Eddie Barclay, Vadim, Pierre Bachelet…), je pourrai citer aussi celui de Ramatuelle au pied des remparts où est enterré Gérard Philippe, celui d’Auvers sur Oise, dernière habitation des frères Vincent et Théo Van Gogh…
Plus près, en Seine-Maritime, nous avons la chance d’avoir le merveilleux cimetière marin de Varengeville sur Mer où reposent Albert Roussel, compositeur et Georges Braque à qui l’on doit les vitraux de la chapelle. Je pourrai aussi parler de celui de Villequier où repose la famille Hugo-Vacquerie, mais revenons à Rouen et son monumental cimetière.
Ce fut, ce dimanche, une belle redécouverte : un cimetière dans lequel la nature a repris toute sa place, des arbres, des arbustes, le vert tendre des feuilles naissantes, les tombes noyées dans la végétation. La Ville de Rouen est dans une démarche « zérophyto » et a entrepris de remplacer le gravillon par le réengazonnement des carrés de sépultures dans ses cimetières ; les fleurs sauvages y sont les bienvenues. Il faut s’aventurer en dehors des grandes allées pour découvrir les petits sentiers, notamment celui qui longe le mur d’enceinte, on se croirait sur un sentier de randonnée. Si j’y ai rencontré des chats, entendu des oiseaux, je n’y ai croisé aucun promeneur humain. Près de ce mur d’enceinte j’ai découvert la tombe d’Adrien DESHOMMETS DE MARTAINVILLE qui fut maire de Rouen et a fondé ce cimetière en 1824.
Ce fut aussi l’occasion de passer saluer quelques rouennais célèbres : Louis Bouilhet grand ami de Flaubert mort 10 ans avant lui, Francis Yard poète, l’abbé Cochet, Colette Yver dont on connaît surtout le nom associé au centre d’accueil et d’hébergement pour les personnes à la rue par grand froid et qui était une écrivaine très prolixe. Elle est enterrée à côté de son frère Edouard de Bergevin qui était peintre. Il y en a d’autres qui sont là mais dont je n’ai pas croisé les tombes, Albert Lebourg, Marcel Duchamp et d’autres rouennais que je ne connais que parce que des lieux ou rues de Rouen portent leur nom : Charles Verdrel (dont on connaît le square mais pas le prénom !) Auguste Houzeau, Georges Métayer, Pouchet, Jean Revel, Louis Ricard, l’amiral Cécille, Jean-Baptiste de son prénom…
Cette année c’est Flaubert qui est à l’honneur, pour le bicentenaire de sa naissance. L’exposition « Salammbô » qui devait être lancée le 23 avril au Musée des Beaux-Arts de Rouen a malheureusement vu son ouverture au public repoussée. Ce n’est, je l’espère, que p :artie remise…
Alors en attendant, allez donc saluer l’artiste dans son jardin, pas celui de Croisset mais son dernier jardin, celui du cimetière monumental. Sa tombe, vous ne pourrez pas la rater, elle est fléchée !
Au moment où je termine cet article une amie, élue à la Ville de Rouen et déléguée à la culture et au patrimoine, voyant mes photos sur Facebook, me signale que ce cimetière a reçu le label « cimetière remarquable d’Europe ». Il le mérite bien.