Jeudi 11 mars dernier, le Sénat devait débattre sur le droit à mourir dans la dignité. Mais la nouvelle proposition de loi a été retirée de l’ordre du jour du Sénat par son auteure, Marie-Pierre de La Gontrie, après la suppression en séance de l’article 1er, qu’elle considérait comme le « cœur » du texte. Martine décrypte cette nouvelle occasion ratée.
Par Martine Lelait.
Euthanasie, suicide assisté, de quoi parle-t-on ?
Quel est le public concerné par cette proposition de loi ?
Quels sont les garde-fous prévus pour éviter les dérives ?
Quelles sont les réticences encore en jeu à l’heure actuelle ?
Une occasion ratée et après ?
Euthanasie, suicide assisté, de quoi parle-t-on ?
Depuis 40 ans, l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD) milite pour que chacun puisse choisir les conditions de sa propre fin de vie.
J’ai, pour ma part, rejoint l’association en 2009, après avoir vu ma mère, malade Alzheimer ayant fait un AVC qui devait être fatal sous 48 heures, maintenue artificiellement dans une vie qui n’en méritait pas le nom, pendant de trop longues années.
Forte aujourd’hui de quelque 74000 adhérents, l’ADMD a fait en octobre 2018 une proposition de loi tendant à légaliser l’euthanasie et le suicide assisté.
Pour faire un distinguo simple, l’euthanasie est un acte réalisé par un membre du corps médical destiné à mettre fin à la vie à la demande du patient, le suicide assisté consiste à seconder la personne qui désire mettre elle-même un terme à sa vie, en lui apportant aide matérielle nécessaire (produit létal notamment).
Différents pays ont déjà adopté des dispositions encadrées dans ce sens. Certains ont légalisé l’euthanasie, comme les Pays Bas qui ont été les premiers au monde à le faire en 2001, suivis de la Belgique en 2002 et du Luxembourg en 2009 ; la Suisse quant à elle ne reconnaît pas l’euthanasie mais permet le suicide assisté. Plus récemment, d’autres pays ont entrepris de modifier leur législation en la matière. L’Italie a dépénalisé le suicide assisté mais cela reste interdit par la loi. Le Portugal vient à son tour en 2020 de dépénaliser le suicide assisté et l’euthanasie. En dépit de sondages qui rapportent qu’une grande majorité de nos concitoyens sont favorables à une telle loi (96% lors du sondage IPSOS de mars 2019), ce sujet n’a pas souvent été débattu au Parlement. Plusieurs propositions ont récemment été déposées tant à l’Assemblée Nationale qu’au Sénat.
Ainsi dans le cadre des fameuses « niches parlementaires », le Sénat a eu à examiner, le 11 mars dernier, une proposition de loi visant à établir le droit à mourir dans la dignité, déposée par Marie-Pierre de La Gontrie, sénatrice de Paris et cosignée par 50 sénateurs du groupe socialiste.
Quelques jours avant l’examen en séance, j’ai rencontré Yves Grégoire, délégué de l’ADMD pour la Seine-Maritime et Didier Marie, sénateur, cosignataire de cette proposition de loi. Ils ont décrypté pour moi, les attendus du texte, le contexte et ses enjeux principaux.
Le texte s’inspire largement de la proposition de l’ADMD. Il part d’un constat douloureux : on meurt mal en France ; encore aujourd’hui trop de gens meurent dans des conditions dégradées et dégradantes ; la loi Claeys-Leonetti de 2016 sur le droit à la sédation profonde et continue reste imparfaitement connue et mal appliquée. 26 départements ne sont toujours pas dotés d’unités de soins palliatifs. Vu ce contexte, de nombreuses personnes décident de s’expatrier pour « mourir mieux ». C’est ce que vient de faire Paulette Guichard-Kunstler, 71 ans, ancienne secrétaire d’Etat aux Personnes Agées, qui a choisi la Suisse pour bénéficier d’un suicide assisté. Cette solution implique de connaître les réseaux et de pouvoir financer son dernier voyage. Voilà pourquoi certains médecins français acceptent de contrevenir à la loi et de fournir les médicaments nécessaires pour abréger une fin de vie faite de souffrance. Il y aurait en France quelque 4000 euthanasies illégales pratiquées chaque année. Dans tous les cas, la loi actuelle conduit à des inégalités considérables face à la fin de vie.
La proposition qui vient d’être débattue visait à inscrire dans la loi deux nouveaux droits : un droit à une aide active à mourir et un droit universel à accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement.
Quel est le public concerné par cette proposition de loi ?
La notion de fin de vie ne s’apprécie pas en fonction de l’âge. Est concernée toute personne, quel que soit son âge, en phase avancée ou terminale, atteinte d’au moins une affection
Cela ne concernera bien sûr que les personnes qui le souhaitent, qui sont en capacité de le faire savoir ou qui ont signé des directives anticipées dans ce sens et désigné des personnes de confiance qui soient leur porte-parole lorsqu’elles mêmes ne pourront plus exprimer leur volonté.
- accidentelle ou pathologique,
- présentant des caractères graves et incurables,
- affligeant une souffrance physique ou psychique inapaisable que la personne juge insupportable ou qui la place dans une situation de dépendance qu’elle estime incompatible avec sa dignité et sur cela, chacun reste juge de sa propre dignité.
Il s’agit bien d’un droit dont on s’empare ou non ; il n’y a aucune sorte d’obligation. C’est un droit, pas un devoir.
Quels sont les garde-fous prévus pour éviter les dérives ?
Dans les pays où ce droit existe depuis quasiment 20 ans, il n’a été constaté ni dérives, ni un nombre effarant de demandes. Il faut savoir également que jusqu’au bout, la personne peut toujours changer d’avis et ne plus vouloir d’aide active à mourir. Le projet prévoit d’ailleurs un protocole très encadré : le médecin à qui est présentée la demande d’aide active à mourir fait appel à un confrère accepté par la personne concernée ou sa personne de confiance, la personne est informée des possibilités thérapeutiques, des solutions alternatives en matière d’accompagnement de fin de vie. Il est également prévu d’une part des délais stricts à observer pour ne pas prolonger indûment les souffrances et d’autre part que les conclusions médicales et confirmation de la demande, soient versées au dossier médical.
Quelles sont les réticences encore en jeu à l’heure actuelle ?
Le corps médical évolue, c’est évident, mais il est des praticiens qui restent encore sur leur seule vocation à soigner et se refusent à donner la mort ; à ce sujet, la clause de conscience demeure : aucun médecin, ni infirmier, ni auxiliaire médical ne sera obligé d’apporter lui-même l’aide active à mourir. En revanche, si le médecin ne veut pas le faire, il devra orienter vers un confrère volontaire.
D’autres réticences dans la société civile peuvent tenir aussi à des convictions religieuses. A rappeler toutefois que le texte prévoyait que soit réputée décédée de mort naturelle, la personne dont la mort résultera de l’aide active à mourir, que ce soit euthanasie ou suicide assisté.
Une occasion ratée et après ?
Didier Marie, signataire de cette proposition de loi avec 49 autres sénateurs, était présent le 11 mars pour défendre le projet à cette séance où les interventions ont été riches, poignantes parfois, et où le sujet a dépassé les clivages politiques. Malheureusement, « mais sans grande surprise, l’article 1 qui instaurait ce nouveau droit a été refusé par la majorité sénatoriale » La rapporteuse a donc retiré sa proposition de loi.
Olivier Véran a conclu que « cela n’était pas le moment » !
Pour ma part, je considère que la proposition a eu le mérite de relancer le débat sur le droit à cette ultime liberté vers une mort douce et paisible lorsque la vie n’est plus possible. Les 3 ou 4 autres propositions déposées à l’Assemblée Nationale par des groupes parlementaires de tous bords, feront reprendre les discussions… dès lors qu’elles seront inscrites à l’ordre du jour d’une session. Aux dernières nouvelles, le texte déposé par Olivier Falorni, député des Charente-Maritime devrait venir en discussion à l’Assemblée Nationale le 8 avril prochain. A suivre donc…
Le droit à mourir dans la dignité sera une grande loi qui rejaillira sur la notoriété du président qui la concrétisera. Comme celle sur l’IVG instaurée sous Giscard d’Estaing, comme celle sur l’abolition de la peine de mort voulue par Mitterrand, comme celle sur le mariage pour tous sous la présidence de Hollande. Avis au Président de la République actuel !