A quoi ressembleraient nos vies sans ces personnes, qui, par leur attention aux autres, mouillent le maillot de l’humanité ? Les rédactrices des Curieux Aînés leur disent merci.
Merci, mademoiselle Jeanne
Par Thésy Bionnier
Mademoiselle Jeanne était institutrice et la directrice de l’école primaire privée des filles du petit village où je vivais. Elle était un personnage très important, respectée de tous, ayant à cœur que chaque élève décroche son certificat d’études. J’avais six ans et demi, lorsque je suis entrée à l’école et mes débuts n’ont pas été glorieux : j’arrivais toujours en retard, en pleurant et je travaillais mal. Un jour de marché, j’ai même dû porter le bonnet d’âne dans la cour de l’école pour que j’ai bien honte. Aujourd’hui, mademoiselle Jeanne aurait sûrement un procès pour maltraitance ! Mais à cette époque, on supportait.
Vers la fin de l’année, mademoiselle Jeanne m’a convoquée dans son bureau, essayant de comprendre les raisons de mon comportement. Avec difficulté, je me suis confiée. Elle m’a comprise et conseillée. Je lui ai promis de devenir la première de classe et elle a souri.
Depuis ce jour là, j’ai toujours été première de classe, très fière de porter tous les jours et pendant toute ma scolarité la croix sur ma blouse. Lorsque j’ai eu treize ans, mademoiselle Jeanne a demandé un rendez-vous à mon père : elle voulait le convaincre de m’envoyer en pension pour faire des études, au-delà du certificat d’études. Vu mon âge, elle s’est même engagée auprès de lui pour me faire passer le concours des bourses directement en 5ème. Elle a tenu parole : chaque jour, elle me donnait des devoir supplémentaires et me faisait venir à l’école le jeudi (jour de repos, de l’époque). Comme il y avait une épreuve d’anglais à ce concours et que personne dans le village ne parlait cette langue, elle m’a trouvé un professeur dans le village voisin. Pendant un an, deux fois par semaine après l’école j’ai parcouru à vélo dix kilomètres pour prendre ces cours. Y compris en hiver…
L’examen des bourses se déroulait à Laval, à 60 km de mon village. Comme mademoiselle Jeanne n’avait pas de voiture et mon père non plus, elle m’a accompagnée la veille, a loué une chambre pour elle et moi et m’a conduite sur le site de l’examen en m’encourageant et m’assurant que je réussirais. J‘ai été reçue, je suis allée en pension et suis sortie première au premier trimestre, ce qui était le plus grand remerciement que je pouvais offrir à mademoiselle Jeanne.
C’est ainsi, grâce à elle, que j’ai pu préparer le bac, ce qui était alors exceptionnel pour les élèves originaires de la campagne. J’ai d’ailleurs été la seule à partir en pension, cette année-là. Or, avoir son bac à l’époque ouvrait beaucoup de portes. Encore merci, mademoiselle Jeanne.