Quand Marie disserte de littérature avec sa copine Rose, cela convoque Saint-Simon, Annie Ernaux et Michel Audiard. Vive la culture !
Par Marie H.
Ce matin, attablée chez l’ami Hector devant un thé au citron, je disserte avec Rose, une amie retraitée, sur cette littérature contemporaine autofictionnelle, émaillée de violences conjugales, d’incestes, d’emprise, d’enfances « à la Dickens » et, j’ose le lui dire, légèrement tire-larmes.
Ma remarque agace mon amie.
– « Puisqu’elles existent, ces mœurs de sauvage, il est normal et même souhaitable que la littérature s’en fasse l’écho. Vous n’avez pas de cœur, Marie, je les plains ces malheureuses victimes et leurs prédateurs me dégoûtent. Laissez-moi vous dire que c’est plus d’actualité que votre bien-aimé duc de Saint-Simon dont vous me rabâchez les oreilles ! Remarquez, de son temps, il s’en passait de belles aussi, seulement, pas question de plaintes et de protestations, cela aurait été aussi sec galère et compagnie, rame et boucle-la. D’ailleurs, le peuple était illettré, ça simplifiait pour les réclamations ! »
Délicieuse Rose, qui, bien qu’octogénaire, a conservé une spontanéité juvénile ! Chez certains êtres privilégiés la jeunesse résiste à la vie.
Nous évoquons ensuite son écrivaine préférée, Annie Ernaux, entendue dans une émission de radio. Il s’agissait de la rediffusion d’un entretien de l’année dernière où elle était interrogée sur le parler de ses parents. L’écrivaine racontait qu’elle se souvenait « d’un français écorché, mâtiné de patois, le réel sans les mots ».
Si les mots manquaient aux parents d’Annie Ernaux, leur fille a su les employer pour décrire leur vie difficile. Ses livres sont les soldats de cette guerrière. Chez elle, la flèche atteint son but, le cœur même de la cible, la réalité de la vie. Ce réel qui souvent nous dévaste et nous laisse sans voix. Bien nommer le réel sans ambiguïté est un art dont nos hommes politiques ne sont pas prodigues.
Nous quittons le café d’Hector, Rose me reconduit chez moi.
Je décide alors de relire Michel Audiard et de retrouver son vocabulaire imagé, ses dialogues truculents et sa gouaille. Michel Audiard n’est pas né dans la rue mais il y a beaucoup vécu. Or la rue est cruelle et ne fait pas de cadeaux. Pas étonnant que cette citation soit de lui : « La justice, c’est comme la Sainte Vierge, si on la voit pas de temps en temps, le doute s’installe ».
Tel Marguerite Duras, Michel Audiard n’a pas seulement tourné et dialogué des films, il a aussi écrit des romans et des articles à la fois drôles, féroces et parfois mélancoliques où il déploie une verve irrésistible. Le dialoguiste des Tontons Flingueurs est aussi le scénariste de l’émouvant Mortelle Randonnée et du célèbre Garde à Vue. “On est gouvernés par des lascars qui fixent le prix de la betterave et qui ne sauraient pas faire pousser des radis.”
C’est si bon de rire, une vraie récréation et cela vaut toutes les drogues. Certaines pages sont empreintes d’un blues de bon aloi. Une mélancolie envahit les souvenirs d’un Paris disparu, c’est passager, bien vite revient un appétit de vie communicatif. C’est tout ce dont j’ai besoin en cette fin de matinée grise, au sein d’un monde plein de bruit et de fureur.