Sanctionner des fautes plutôt que souligner des erreurs produit une violence durable contre les enfants et plus tard, les adultes qu’ils deviennent. C’est l’avis d’Yvonne qui plaide pour une pédagogie positive et constructive. Et pour une réforme de l’enseignement. Tout un programme !
Par Yvonne Leménager
Vers la fin du débat clôturant l’émission « L’histoire d’une nation, l’école » (diffusée sur France 2, le 19 octobre), le sociologue François Dubet a déclaré ceci : « L’histoire des inégalités scolaires, ce n’est pas que l’histoire scolaire, cela structure la vie sociale et politique de la France ». « Le clivage que fait l’école entre les vainqueurs et les vaincus est en train de structurer les électorats ».
A mes yeux, cela va bien plus loin. La violence éprouvée pendant des années par ceux qui ne sont pas en situation de franche réussite scolaire entraine perte de confiance en soi, sentiment d’injustice, impuissance et colère rentrée à un âge où les personnalités se construisent. Ne faudrait-il pas trouver ici la cause principale de la morosité française, de notre penchant à voir toujours le verre à moitié vide et les mouvements de colère sociaux récurrents ? La colère d’ailleurs est présentée comme l’émotion reine, supplantant toutes les autres. Mitonnée dans nos enfances scolaires, elle nous est devenue familière et facile à partager à l’âge adulte.
Haro sur le mea culpa
Je rêve d’une réforme radicale mais gratuite du système éducatif. Elle consisterait à interdire l’utilisation du mot faute dans tout le vocabulaire scolaire et à le remplacer par le mot erreur. Le mot faute, même si l’on n’est pas croyant, traine trop de casseroles : celle d’Adam et Eve et du péché originel, celle de Caïn, celle du rituel de la confession, « C’est ma faute, c’est ma très grande faute » (mea culpa) … La faute nous condamne. En revanche, l’erreur, normale en situation d’apprentissage, nous ouvre les portes de la réflexion, du raisonnement, de la coopération dans la recherche de solutions. Elle n’atteint pas la confiance en soi, elle la construit.
Lors de l’émission A Voix Nue sur France Culture consacrée à la comédienne Agnès Jaouï (en podcast), on l’entend dire ceci, en parlant de sa scolarité : « Tu fais mal, tout est mal, et de toute façon tu n’auras jamais fait assez bien », « il y a une culture de la punition et du manquement ». Voilà qui fera bondir les enseignants qui s’attachent à sortir de ce schéma, mais c’est pourtant l’expression d’un ressenti que partagent beaucoup d’élèves et de parents d’élèves. Quel obstacle à la création d’une alliance pédagogique entre les uns et les autres.
Fragments d’élans brisés
L’évaluation précoce des enfants, assortie de réflexions qui figent, est destructrice. Voici quelques exemples.
C’est un petit garçon vif et curieux qui essaie très tôt de déchiffrer enseignes et affiches dans la rue. Sa mère répondait à ses questions, lui nommant les lettres et les noms repérés. A l’entrée au CP, il savait lire mais sa mère s’est fait réprimander par la maitresse : « Ce n’est pas à vous de lui apprendre à lire. C’est mon rôle ».
C’est une petite fille en garde alternée qui a été initiée à la lecture au travers des voyelles et de consonnes en grande section de maternelle. Elle apprend l’alphabet, la reconnaissance de quelques syllabes et de mots. Changée d’école à l’entrée au CP pour être rapprochée de sa mère, elle revient en larme à la maison, le deuxième jour, en disant « la maitresse m’a dit que je ne savais pas lire ». Tout cela parce que les consonnes étaient maintenant dénommées « alphas » et qu’elle n’avait pas compris cette nouvelle consigne. Cette réflexion de jugement l’a complétement bloquée par rapport à l’apprentissage de la lecture. D’ailleurs elle répète : « moi, j’ai un problème je ne suis pas comme les autres ». Et ça l’a fait rentrer dans un engrenage de psychologue scolaire et d’orthophoniste.
C’est un petit garçon, né un 24 décembre, qui s’est fait dire à l’entrée au CP, qu’il ne savait pas lire et en a été révolté.
Depuis quand faudrait-il savoir lire correctement avant le CP ?
Et cette histoire d’alphas auquel la majorité des parents ne sont pas initiés ne favorise en rien leur soutien assez difficile comme cela pour les familles peu instruites ou ayant des difficultés avec la langue. C’est une grande source d’inégalité.
Qu’elle est cette rage d’entre soi pédagogique qui porte à imposer des termes nouveaux sans nécessité ?
Par ailleurs, les enfants ne sont pas des pommes calibrées. Il faut respecter leur rythme de maturation sans anticiper.