La mort de Paul Varry, cycliste de 27 ans, écrasé récemment par le conducteur d’un SUV à Paris a interpellé Martine qui s’interroge sur les pulsions meurtrières qui peuvent gagner les automobilistes.
Par Martine Lelait
Les accidents sur les routes ne sont pas rares, ce n’est pas la Prévention Routière, ni les compagnies d’assurance qui soutiendront le contraire. La plupart des accidents sont liés à des états de fatigue, d’inadvertance, à des excès de vitesse, plus généralement au non-respect des règles élémentaires du code de la route, à des conduites sous l’effet de l’alcool ou de stupéfiants. Ce n’est pas « la faute à pas de chance », cela relève assurément de la faute imputable aux conducteurs, même si ces accidents demeurent involontairement provoqués.
L’écrasement d’un cycliste par un conducteur de SUV dernièrement à Paris interroge sur les circonstances exactes et les motivations du conducteur. Puisque celui-ci a été arrêté et mis en détention provisoire, l’enquête devra déterminer exactement les causes et l’intention meurtrière.
Un conducteur de voiture a-t-il pu réellement vouloir écraser délibérément un cycliste ? Voilà bien une question qui laisse sans voix…
Nous avons tous observé des incivilités flagrantes entre les usagers de la route, que ce soit entre des conducteurs de voitures entre eux, entre cyclistes et automobilistes, entre cyclistes et piétons et j’en oublie sûrement. J’ai encore en tête un ami qui est un habituel cyclo-taffeur (c’est-à-dire qu’il va travailler tous les jours en vélo et c’est son unique moyen de déplacement) qui s’est fait agresser physiquement, il y a quelques mois par un automobiliste, au point de s’être retrouvé avec son T-shirt complètement déchiré.
Qu’est ce qui peut bien provoquer de telles fureurs ? Dans un article fort intéressant publié dans Libération le 22 octobre dernier, Hervé Marchal, professeur de sociologie à l’Université de Bourgogne et spécialiste des mobilités urbaines, explique que la voiture devient en quelque sorte l’habitat privé de son conducteur. Je note au passage qu’on parle aussi d’habitacle pour l’espace intérieur des voitures…
Qu’un tiers touche à sa sacro-sainte voiture reviendrait ainsi pour son propriétaire à une intrusion inadmissible dans son espace privé, intrusion qui justifierait de défendre par tous les moyens sa propriété. On connaît vraisemblablement tous des réactions disproportionnées pour un touche-touche de pare-chocs ou pour une toute petite éraflure.
Mais est-ce une raison, parce qu’on est dans l’espace clos de la voiture, de tout s’autoriser ? J’avais une amie, au demeurant tout à fait polie, policée, dans la vie de tous les jours, qui, lorsqu’elle était au volant de sa voiture, s’autorisait toutes les invectives, tous les noms d’oiseaux envers les autres automobilistes, les piétons, les cyclistes, … dès lors que ceux-ci ne pouvaient pas l’entendre. Sans doute une forme d’exutoire pour contrôler son impatience ? Ce qui, pour la petite histoire, ne l’a pas empêchée d’être parfois entendue quand elle ne se souvenait plus que sa vitre était baissée.
Hervé Marchal explique aussi que, dans sa voiture, l’automobiliste devient le maître du temps, temps qu’il entend contrôler. Les distances entre deux points ne se mesurent d’ailleurs plus seulement en kilomètres mais aussi en temps de route. Toutes les minutes sont-elles si précieuses qu’être ralenti dans son trajet mériterait la mort pour l’impudent qui nous retarde, cet impudent qui devient du coup un ennemi ?
Pour le sociologue, on assiste aussi à une chosification de l’autre qui n’en est plus humain, mais une chose dénuée de toute humanité.
Voilà qui n’est pas fait pour me rassurer. L’âge aidant, j’ai bien conscience qu’une infime distraction, une perte d’acuité visuelle, peuvent faire de moi un danger public sur la route mais par pitié, n’en rajoutons pas et essayons d’avoir un peu de respect pour les autres et de ne pas devenir tous des criminels avec cette arme de destruction que peut être notre voiture si on ne parvient pas à réguler nos pulsions meurtrières !