Si la Seine-Maritime est bien connue pour sa culture du lin, Martine a profité de son séjour dans le sud de la Manche pour se documenter sur la culture du chanvre.

Par Martine Lelait.

Cet été de nombreuses entreprises, agricoles, artisanales, industrielles ou commerciales ouvrent leurs portes au public pour les « Visites du jeudi de la Manche » et les offices de tourisme en font la promotion.

Aussi, par un après-midi bien gris, me suis-je inscrite à la visite proposée par Agro Chanvre à Barenton sur la valorisation de la culture du chanvre. Nous étions une petite vingtaine de participants, des vacanciers comme moi mais aussi des gens du coin qui connaissaient Jean-Paul Salmon, le gérant de l’entreprise.

Celui-ci nous a raconté la genèse du projet, la reprise en mars 2011 d’une entreprise au bord du dépôt du bilan, le soutien du Département et de la Chambre d’Agriculture de la Manche pour une étude de faisabilité ainsi que son développement jusqu’à ce jour. Passionné jusqu’au bout des ongles, il nous a raconté l’histoire du chanvre et nous l’a montré et même fait toucher, dans tous ses états, dans des bacs ou bocaux qu’il nous a fait circuler.

Jusqu’au début des années 1900, quasiment toutes les fermes dans la Manche produisaient du chanvre puis cette culture est tombée en déclin avant de reprendre depuis quelques années, avec une filière maintenant organisée autour d’une cinquantaine de producteurs associés, actionnaires majoritaires de la SARL.

La France est aujourd’hui le 1er producteur européen de chanvre avec 22000 hectares cultivés, ce qui ne représente malgré tout que 0,04% des surfaces agricoles… C’est une plante très intéressante car facile à cultiver, moins facile à récolter mais dans le chanvre tout s’exploite de la graine à la fibre.

C’est une culture annuelle : le chanvre se sème en mai quand la terre est suffisamment chaude, il pousse très vite, fleurit mi-juillet et se récolte mi-septembre quand il a atteint 2 m à 2,50 m. 

Le chanvre ne connaît pas de maladie, pas de champignon, pas d’insecte et ne nécessite donc aucun traitement. Très peu d’engrais, un peu d’azote lui suffit. De plus en plus de céréaliers se mettent à cultiver le chanvre qui se révèle ainsi une culture simple dont 80% de la production se fait maintenant en bio. En revanche, la structure du sol est importante et les rotations longues en matière d’assolement, 4,5,6 voire 7 ans sont à privilégier. Sur ces années sans chanvre, les autres cultures comme le blé profitent très bien du sol qui a vu pousser précédemment du chanvre.

La récolte peut se révéler plus compliquée si la météo ne s’y prête pas. Mi-septembre, la moissonneuse-batteuse vient couper les têtes pour récolter les graines. Celles-ci trop humides pour être conservées en l’état sont séchées à 38°, pas plus, pour préserver les oméga 3. La paille est ensuite fauchée et laissée au sol quelques jours, regroupée en andains qui sont retournés pour mieux sécher. Comme le lin, le chanvre peut aussi être laissé à rouir (macération pour faciliter la séparation de l’écorce filamenteuse avec la tige). Si les pluies venaient à trop durer, comme certains automnes parfois en Normandie…, la récolte pourrait être sérieusement retardée, le chanvre n’en finissant pas de sécher.

Après récolte et mise en balles, c’est un traitement mécanique qui sépare la fibre (à l’extérieur) de la chènevotte (le bois) à l’intérieur. Nous avons d’ailleurs pu voir les machines à l’œuvre.

Que fabrique-t-on à partir du chanvre ?

La fibre sert à produire du papier, un papier très fin type papier à cigarette, ou papier bible, ou encore du textile, nouveau marché qui se valorise bien puisque cela se vend deux fois plus cher que la fibre pour papier. Pour le textile, le chanvre roui présente une meilleure qualité.

La fibre est aussi un excellent isolant ; très performante, elle peut être utilisée brute, compactée comme laine de chanvre. En plasturgie, elle est utilisée broyée, micronisée et incorporée à des plastiques ce qui rend les plus légers et meilleurs en terme d’empreinte carbone. C’est utilisé par exemple dans la fabrication de tableaux de bord de voiture.

La chènevotte (le bois) n’était pas beaucoup utilisée sauf pour le paillage animal ou végétal mais elle est maintenant valorisée dans le domaine de la l’éco-construction : mélangée à de la chaux elle contribue à isoler les murs et diminuer les variations de température. Elle sert aussi à confectionner des agglos béton-chanvre et à fabriquer des enduits.

Même la poussière, déchet ultime, (10 % du poids de la paille) est récupérée et vendue à des éleveurs pour assécher les litières animales ; elle vient aussi dans la composition de terreaux, de composts et de combustibles.

La graine, de bon rendement (une tonne à l’hectare), est riche en oméga 3.

Non bio, elle est vendue pour l’oisellerie (les oiseaux en sont friands) ou pour faire des appâts pour la pêche, deux marchés particulièrement porteurs au niveau international.

La graine bio est exploitée pour l’alimentaire et se vend aussi très bien. Elle peut s’utiliser nature ou décortiquée, en saupoudrage de salades, de plats, une cuiller à soupe de graines suffit à assurer la dose journalière nécessaire en oméga 3. Elle sert aussi à fabriquer de l’huile de chanvre en 1ère pression à froid (ne pas la faire chauffer pour préserver les oméga 3), de la farine très riche en protéines, des pâtes, de la bière… Aux dernières nouvelles, une biscuiterie serait aussi intéressée. Elle entre aussi dans la composition de produits cosmétiques, crèmes, savons…

En Bretagne, il est courant de dire que dans le cochon tout est bon. Au vu de la démonstration qui nous a été faite, je suis tentée de dire la même chose du chanvre et vous remarquerez que je n’ai pas parlé de la fleur qui, elle, est appréciée des fumeurs de cannabis… Mais c’est une autre histoire.