Le 18 novembre dernier, lors de la 13ème cérémonie des Governors Awards à Hollywood, la cinéaste française Euzhan Palcy s’est vue attribuer un Oscar d’honneur pour l’ensemble de son travail. Mais, connaissez-vous Euzhan Palcy, la guérisseuse ?
Par Andrée Médec
L’information a fait peu de bruit. Et pourtant, elle en aurait mérité ! Après Agnès Varda, en 2017, Euzhan Palcy est la deuxième réalisatrice française, première antillaise, à avoir reçu un Oscar d’honneur des Governors Awards à Hollywood. C’était le 18 novembre dernier. Mais qui connait cette réalisatrice de 64 ans ?
Née et ayant grandi en Martinique, cette passionnée de lettres et cinéma réalise à 17 ans seulement son premier film « La Messagère » pour la télévision française de Martinique. Ensuite de quoi, elle s’envole pour la France parfaire ses connaissances à l’Université de Paris, ainsi qu’à l’école nationale supérieure Louis-Lumière (diplôme d’études approfondies) et à la Sorbonne (diplôme Lettres et théâtre).
Elle remporte son premier succès critique et public en 1984, avec l’adaptation du roman de Joseph Zobel « Rue Cases-Nègres ». Il décrit, dans la Martinique des années 30, l’existence difficile et la misère du petit peuple vivant sur les « zabitations », nom donné aux plantations de cannes à sucre des propriétaires terriens, descendants des colons. Ce film lui vaut un Lion d’Argent à la Mostra de Venise qui sera suivi de 17 prix internationaux.
Ce succès lui ouvre les portes du cinéma, pas en France comme cela aurait été logique mais… aux USA. « Je suis partie pendant plusieurs années, un peu la mort dans l’âme car je n’avais pas le choix. Quand on se voit refuser dans son propre pays les moyens de faire les films qu’on veut faire, avec des commentaires pas forcément agréables, à un moment vous dites : ça suffit ! » déclare-t-elle alors pour justifier ce choix.
Aux Etats-Unis aussi, Euzhan Palcy se révèle combattive : elle refuse les étiquettes tout en soulignant le caractère universel et coloré de ses films, et ce même si en France il lui a été reproché de ne raconter « que des histoires de Noirs » .
En 1989, les studios de la M.G.M. la sollicitent pour réaliser « A dry white season » best-seller d’André Brink contre l’apartheid en Afrique du Sud. La distribution est prestigieuse. On y découvre entre autres : Marlon Brando, Donald Sutherland, Zakes Mokae, Susan Sarandon. Cette réalisation fait d’elle non seulement la première cinéaste noire produite par un gros studio d’Hollywood mais également la seule femme à avoir dirigé Marlon Brando.
Mais son travail ne se résume pas à ces films. Elle met au grand jour des situations qui étaient peu ou pas connues du grand public. Ainsi, dans « Parcours de dissidents » narré par Gérard Depardieu, elle lève le voile sur le parcours et l’aventure périlleuse de jeunes antillais partis en dissidence des Antilles sur des yoles, en passant par les Etats-Unis, le Maroc et l’Italie avant d’arriver en France, pour sauver « la mère patrie » à l’appel du Général de Gaulle en juin 1940…
Elle a également réalisé de nombreux courts-métrages et documentaires, dont « Aimé Césaire, a voice for History ».
Depuis 2013, elle fait partie du Comité National pour la Mémoire et l’Histoire de l’Esclavage (CNMHE).
Pourquoi est-elle restée entre parenthèses durant quelques années ? Elle donne la réponse dans le discours prononcé lors de la remise de son Oscar d’Honneur :
« Et si j’ai gardé le silence, si je n’ai pas fait de films pendant quelques années, c’est parce que j’étais fatiguée d’entendre que les Noirs et les femmes n’étaient pas lucratifs » … « J’étais tellement fatiguée qu’on me dise que j’étais une pionnière. J’en avait assez d’entendre des louanges pour avoir été la première d’un trop grand nombre de premières » …
Cet Oscar semble cependant lui avoir insufflé une nouvelle énergie et l’envie de recommencer à travailler, si l’on en croit la conclusion pleine d’espoir de son discours :
« Je n’étais pas derrière la caméra, en train de faire ce pour quoi Dieu m’a mis sur cette terre : diriger ma caméra, mon arme miraculeuse comme je l’appelle, pour mettre en lumière notre humanité collective sur l’écran. Avec mon appareil photo, je ne filme pas, je guéris ».