Le temps passe mais les émotions restent. Se référant à Georges Pérec, Marie inventorie quelques grands moments de son existence où l’homme a brillé pour son courage ou engagé le monde dans le chaos.
Par Marie H.
Je me souviens d’Edith Piaf filmée au Carnegie Hall, chantant « l’hymne à l’amour » après la disparition de Marcel Cerdan.
Je me souviens d’un soir de novembre 1963 où un ami, sortant d’un bar parisien, m’a annoncé « le président Kennedy a été assassiné à Dallas, je viens de l’entendre à la radio ».
Je me souviens de Louis Armstrong en promenade dans les rues de Paris et de son rire heureux quand il a répondu à notre salut.
Je me souviens de Martin Luther King, de son courage, de son grand rêve de fraternité, de notre chagrin lors de son assassinat.
Je me souviens des roses de Bagatelle, de leur parfum un après-midi de juin.
Je me souviens d’avoir vu à la télévision, une nuit de juillet 1969, les américains marcher sur la lune.
Je me souviens des poings levés par deux athlètes noirs américains aux jeux olympiques de 1968 à Mexico, en protestation contre le non-respect de leurs droits civiques (ils étaient médailles d’or et de bronze au 200 m.)
Je me souviens de Prague sous la neige et du Printemps qui a suivi avec les chars russes menaçant les étudiants.
Je me souviens de l’avocate Gisèle Halimi au procès de Bobigny, souriante et déterminée.
Je me souviens de Barbara chantant « Nantes » pour la première fois sur la scène de l’Olympia.
Je me souviens de Simone Veil à l’Assemblée Nationale tenant tête aux députés hostiles à la loi sur l’avortement. Elle avait vacillé un court instant sous les insultes qui l’accusaient d’agir dans le sens de ses anciens bourreaux nazis. Elle s’était ressaisie et avait refusé une interruption des débats. Elle devait déclarer plus tard : « la peur ne fait pas partie de mon registre de sentiments. »
Je me souviens de Paris en fête un après-midi de l’été 1998, de la France fière d’avoir gagné la Coupe du Monde, grâce à ses joueurs black-blanc-beur.
Je me souviens d’une photo qui fit le tour du monde : celle d’un jeune homme, les bras écartés, défiant un char au centre de la Place Tien An Men à Pékin en 1989.
Je me souviens d’une journée de septembre 2001 où nous avons passé de longs moments au téléphone avec les amis qui avaient de la famille à New-York.
Je me souviens de la ville vide et silencieuse lors du premier matin de confinement dû au Covid en 2020. Les fenêtres ouvertes nous entendions le bruit de la fontaine du square, de l’autre côté de la rue.
Je me souviens du regard triste et du visage dévasté d’un ami médecin de retour d’Ukraine. Son seul désir était de retourner au plus vite soigner les victimes des exactions russes.
Je me souviens d’avoir refoulé les mêmes larmes inutiles, tour à tour pour le jeune David assassiné dans son kibboutz et pour Ahmed enseveli sous les ruines de Gaza. Un ami très cher, devinant mon désarroi, m’avait envoyé ce message : « souviens-toi, il n’y a rien à espérer du désespoir. »